Le titre
Le titre du chapitre est également celui de l’image, qui en général se rapporte au début, au milieu ou à la fin du chapitre, rarement à la totalité. Ainsi, sauf exception, le titre comme l’image ne résument pas le contenu du chapitre, mais ils mettent en évidence ce qui est au cœur des évènements. Pour le chapitre du Déluge (I, p. 23 ; IFF 1624, fig. 13), cet épisode n’est évoqué qu’en une phrase au haut de la deuxième page sur les trois qui le composent : « Il n’y eut plus alors de lieu où l’on pût s’enfuir & se sauver pour tous ces misérables, qui peu auparavant se moquoient des sages remontrances de Noé, se raillants de sa prévoyance » (pp. 23-25). Dans le reste du texte, Finé présente ce qui a précédé et ce qui a suivi. Parfois, le titre en dit plus que ce que montre l’image : pour « Jacob se réconcilie avec Laban et après avec Esaü » (I, p. 78, IFF 1643, fig. 14), l’illustration ne rend compte que de la réconciliation avec Esaü, ce que le lecteur ne comprend qu’une fois la lecture engagée. Intrigué, il est amené à regarder l’image de plus près et à lire le texte plus attentivement pour satisfaire sa curiosité. Le titre résume l’ensemble du chapitre plus que ne le fait la gravure, puisque dans le cas présent Finé raconte d’abord la fuite de Jacob poursuivi par son beau-père Laban, leur réconciliation et enfin la réconciliation avec son frère. Néanmoins, le titre explicite le sujet représenté, qui en lui-même serait difficile à identifier. Parfois, lorsqu’il se résume à un nom propre, le titre apparaît comme une énigme dont la gravure ne donne pas immédiatement l’explication. Il en va ainsi de « Roboam » (II, p. 52 ; IFF 1697, (fig. 15), que le lecteur non averti pourrait prendre pour le personnage lapidé alors que ce dernier n’est qu’un de ses conseillers. Le titre résume ici l’ensemble du chapitre entièrement consacré au fils de Salomon, de son avènement à sa mort, mais sans en dévoiler précisément le contenu, alors que l’image invite à en découvrir un des épisodes et de ce fait l’histoire du personnage représenté, ses liens avec le héros principal, dont il dévoile indirectement le caractère et les agissements, dénonçant le mauvais gouvernement de Roboam et ses retombées sociales et politiques [44]. Chacun à leur manière, le titre et l’image encadrent donc le texte : le titre résume le contenu général et l’image un épisode important, qui lui est étroitement lié.
Parfois, le titre n’est qu’indirectement lié à l’image. C’est le cas d’Esdras (II, p. 146-147 ; IFF 1711, fig. 16), qui ne figure pas dans la composition, ce que le lecteur ne peut là encore deviner avant d’avoir lu le texte. Esdras a un rôle central mais Finé, qui décrit avant tout la construction de Jérusalem, ne lui consacre cependant que quelques lignes. Le procédé est donc inverse du précédent : le titre opère une sélection mettant en valeur un bref passage, mais qui, jugé essentiel, permet là aussi de souligner la morale de l’histoire et l’enseignement qu’il convient d’en tirer : « Esdras, docteur fort éclairé dans les mystères de la Loy, fut envoyé pour instruire ses frères à Jérusalem ; & commença d’abord par faire rompre tous les mariages qu’on avoit contractez avec des femmes étrangères, qui n’avaient pas moins corrompu les mœurs que le langage du Peuple de Dieu » [45].
Le titre met en évidence un épisode dont le lecteur aurait pu sous-évaluer l’importance alors que l’image résume le contenu général du chapitre. Sans le titre, le personnage, la scène représentée seraient parfois difficiles et même impossibles à identifier. Le titre est donc une invitation à lire et à regarder l’image, à la faire dialoguer avec le texte. Il en va de même pour l’image par rapport au titre. Tenant sa curiosité en éveil, tous deux incitent le lecteur à être attentif, à reconnaître le passage représenté. Ils lui permettent également de retrouver dans la table placée à la fin de chaque livre les personnages représentés et, en la feuilletant, de les identifier, de se les rappeler. La table permet aussi de retrouver le sujet et l’image qui l’auront intrigué. Grâce au titre, le lecteur, l’enfant et son pédagogue sont à même de s’en souvenir ; elle leur apprend ainsi à identifier et à mémoriser les noms des personnages les plus importants et les épisodes jugés essentiels. On retrouve donc à l’œuvre la supériorité de l’image sur le texte, qui permet d’un coup d’œil d’en résumer et d’en reconstituer l’histoire, alors que la lecture est un processus plus long et plus laborieux, surtout pour un enfant. Par nécessité, car elle ne peut tout représenter, surtout dans un si petit format, l’image se rapporte à un moment en particulier. Ce choix essentiel donne une importance majeure à un épisode par rapport aux autres, car dans un même chapitre il est souvent question de plusieurs évènements reliés entre eux. Le même problème se trouve posé dans le titre lorsqu’il n’est pas programmatique. Finé donne par là à l’image et au titre une importance considérable. On retrouve en cela une pratique pédagogique qu’il avait expérimentée avec ses jeux de cartes et son Abrégé de l’histoire de France dédiée au Dauphin et illustrée de nombreux portraits en buste, avec en haut leurs noms et surnoms, sur le piédouche leurs armoiries, et au bas l’année de leur naissance et celle de leur mort et leur numéro dans la suite des rois [46].
L’image et le texte
Avant d’aller plus loin, il convient de préciser que les vignettes, contrairement au frontispice, aux bandeaux et aux culs-de-lampe, ont été inventées et gravées pour l’occasion, ce qui est relativement rare, notamment dans les bibles aussi abondamment illustrées, où le plus souvent les auteurs ou les éditeurs réutilisent des planches existantes ou en font exécuter des copies [47] ; de plus, rares sont les gravures qui atteignent une telle qualité et qui, en aussi peu d’espace, parviennent à contenir un nombre impressionnant de personnages et de détails [48]. De toutes celles que Finé a fait réaliser, aucune ne peut rivaliser avec les vignettes pleines de feu de Leclerc.
Mais qui de Finé et de Leclerc est responsable du choix des épisodes à illustrer ? Contrairement à certains auteurs qui s’en expliquent dans l’introduction de leurs livres, Finé n’en dit rien. Il est probable qu’il aura lui-même décidé des sujets à traiter et que lorsqu’il écrivit son texte les gravures n’étaient pas encore exécutées, car on constate qu’il n’y a aucune ekphrasis dans sa Bible, contrairement à une pratique courante [49]. Par ailleurs, selon Mariette [50], Leclerc ne fit aucun dessin préparatoire si ce n’est à la pointe, directement sur le cuivre, ce qui prouve que Finé n’a pas attendu les gravures pour écrire son texte. Bien qu’exceptionnels, les échanges directs entre le texte et l’image permettent d’affirmer que Leclerc, dans certains cas, le suit mot pour mot. Il en est ainsi de Simon (II, p. 192, IFF 1717, fig. 17) et d’Ezéchias (II, p. 88, IFF 1702, fig. 18), où l’étroite parenté entre le texte et l’image ne peut être le fruit du hasard. On lit par exemple sous la plume de Finé – et rien ne manque dans la gravure – que Simon
leur fit élever à Modin, un tombeau magnifique, que la somptueuse structure d’un grand rang de colonnes et de portiques, sept hautes pyramides [il n’y en a que six dans la gravure] et les superbes ornemens de plusieurs trophées d’armes et les navires rendaient extrêmement riche et pompeux [51].
Rien ne manque non plus dans l’illustration d’Ezéchias, dont seul le texte permet au lecteur de comprendre pleinement la signification. Ce dernier découvre qu’Ezéchias, roi pieux au règne prospère, protégé par Isaïe, debout près de lui, après avoir été éprouvé par Dieu qui l’avait accablé d’une maladie dont il risquait de ne pas se remette, a été sauvé par la force de sa prière. Il comprend qu’Isaïe a accompagné cette guérison d’un second miracle : la rétrogradation de dix barres sur le cadran solaire, et que ce miracle valut à Ezéchias d’être honoré par plusieurs ambassadeurs qu’il chercha à éblouir. Cet orgueil fut cause de l’annonce de la destruction de son palais et de la ville, qu’il évita là encore par la force de sa prière : autant d’évènements difficilement compréhensibles sans le recours au texte, sans lui par exemple la présence du cadran solaire pourrait passer pour un simple ornement.
[44] Le choix est essentiel, il attire l’attention du Dauphin sur le bon et le mauvais gouvernement. Fils et successeur de Salomon, Roboam fut à l’origine du schisme qui divisa le royaume d’Israël en deux royaumes rivaux. Menant une vie de débauche, ses conseillers, par leurs avis l’encouragèrent dans cette voie, ne pensant qu’à accroître leur puissance aux dépends du peuple, qui finit par se mutiner.
[45] L’Histoire sacrée en tableaux, Op. cit., bas de la p. 143.
[46] Relativement médiocres, la plupart sont anonymes, mais certains sont signés LP et d’autres GL, sans doute Gabriel Ladame, qui a gravé le frontispice qui remplace celui de Leclerc (IFF Ladame, 1973, n° 76-77, livre non identifié).
[47] Ainsi pour la Bible de Royaumont on copia, inversées, de façon schématique et non sans dureté, les gravures de Matthaüs 1er Merian parues en 1630 (Icones Biblicae), auxquelles on ajouta quelques autres cuivres de Leclerc (IFF 2752-2753) et de Chauveau (IFF Chauveau, 1951, n° 939, 1101).
[48] Ces 142 eaux-fortes – nous ne considérons que les vignettes – mesurent au trait d’encadrement entre 4,4 cm et 5,8 cm de haut sur 4,5 et 7,9 cm de large.
[49] Ainsi, Frizon, Girard et Nicolas Fontaine pour la bible de Royaumont lui accordent une place essentielle.
[50] Abecedario, Op. cit., p. 104.
[51] IFF 1717, pp. 192-198 et, à la fin du volume, pp. 194-194.