L’édition de l’Histoire sacrée en tableaux
Revenons au livre. Le premier volume édité par Charles de Sercy en 1670 fut achevé d’imprimer le 7 septembre 1669 [26] ; c’est donc au début de l’année 1669 et probablement dès 1668 que Finé se mit à l’ouvrage. Ce premier volume était illustré de 73 vignettes, d’un frontispice, d’une devise, d’une lettre grise et de 3 culs-de-lampe (IFF 1614-1762) [27]. Le second volume, achevé d’imprimer au mois de juillet 1671, ne comprenait que 33 planches en plus des culs-de-lampe susmentionnés [28], et le troisième, achevé d’imprimer le 14 janvier 1675, et qui parut peu après la mort de Finé, survenue en septembre 1674, comptait pour sa part 45 vignettes (IFF 1718-1762) [29]. Le titre fut légèrement modifié : la mention « avec leur explication » fut placée avant le nom du Dauphin et Finé supprima la référence aux remarques chronologiques, qu’il jugeait inutiles pour les temps modernes.
Les illustrations
Une iconographie delphinique
Un coup d’œil jeté sur chacun des volumes montre que tout est mis en œuvre pour rappeler au Dauphin, mais aussi aux lecteurs, que l’Histoire sacrée lui est destinée. A travers le frontispice (IFF 1608), les bandeaux en tête des volumes (IFF 1609, 1686, 1718), la lettre ornée (IFF 1610) et les trois culs-de-lampe (IFF 1614-1616) qui ferment la plupart des chapitres, une iconographie delphinique, affirmée de façon redondante, se met en place. Elle accompagne la lecture du début à la fin de l’ouvrage. Avant même de découvrir le titre, le jeune prince et le lecteur sont confrontés à ses armoiries, qui apparaissent au frontispice (IFF 1608, fig. 1). Plus qu’un portrait qui deviendrait rapidement obsolète du fait du jeune âge de l’enfant, ses armoiries ont un caractère immuable ; leur présentation théâtrale donne à l’ensemble du livre un ton solennel, empreint de gravité. Bien que la gravure ait été conçue six ans plus tôt, en 1664, pour l’Abrégé méthodique de l’histoire de France [30], elle trouve parfaitement sa place dans cet ouvrage, dont elle annonce l’importance.
Après le frontispice et la page de titre vient la vignette (fig. 2) placée en bandeau au-dessus de l’épitre « A Monseigneur le Dauphin ». Dans les pages qui la composent, Finé proclame : « Rien n’a-t-il surpris plus agréablement toute la France, que vos premières démarches sur les pas glorieux, & sur ceux principalement du Roy vôtre invincible Père ? » [31]. L’image – une devise en l’honneur du Dauphin – se trouve explicitée par le motto inscrit sur un phylactère, au bas du cartouche : « PAR DUM RESPICIET » [« Semblable, autant qu’il me regardera »]. Finé choisit donc de mettre l’accent sur ce qui lui tient à cœur : l’apologie du Dauphin et, à travers elle, celle du roi. Il avait déjà utilisé cette gravure en 1667 dans l’Abrégé méthodique de l’histoire de France [32], qu’il avait conclu par un sonnet intitulé « Un parélie pour Monseigneur le Dauphin », par l’explication de la devise et par la traduction du motto en question [33]. Il y montrait comment le roi apparaît comme le modèle que doit suivre son fils, comme « la plus parfaite image », rappelant que « le parélie est un Météore qui représente un second soleil dans le ciel ». Selon Bernard Teyssandier, par cette devise, Finé de Brianville « exhorte le prince à la perfection en l’invitant non plus à rivaliser avec les héros des siècles passés mais avec les figures emblématiques de la Bible (…) à obéir au roi comme le fils au père, en étroite conformité avec la loi patriarcale hébraïque et biblique » [34]. Preuve de l’importance accordée à ce sonnet, à une date indéterminée Finé le publia isolément avec la gravure [35] et le reprit en 1671 dans l’épître du tome 2 de l’Histoire sacrée, mais associé à une autre composition de Leclerc (IFF 1686, fig. 3 ) qui enrichissait ainsi l’iconographie delphinique : les deux astres apparaissent de nouveau, mais sans visage, tandis que, de part et d’autre du cartouche, se trouve un dauphin couché, et non plus dressé, dont on n’aperçoit que la tête et que les lys en partie cachés derrière le bord du cartouche autour duquel se trouve une guirlande de petites coquilles Saint-Jacques transformée en bas en collier par évocation de l’ordre royal. Dans le troisième bandeau (IFF 1718, fig. 4), qui surmonte l’épître intitulée « L’Etoile des Rois, Symbole du Nouveau Testament. A Monsieur le Dauphin », le motto est tout autre : « REGIBUS ORTA REGENDIS » [« Elle se lève pour conduire les rois »] [36]. Ainsi, ce n’est plus son père que le Dauphin est appelé à suivre mais, tels les Rois mages, l’étoile symbole du Nouveau Testament [37]. Par conséquent, les bandeaux annoncent et amènent à lire, à comprendre les épîtres et les poèmes sur lesquels ils attirent l’attention du lecteur, qui les aurait sans doute lus trop rapidement. Ils résument, comme le font les épîtres et les poèmes, la voie qu’il convient de suivre pour devenir un prince vertueux et parvenir à l’immortalité. Par l’image et le verbe, ces gravures dramatisent le contenu de la composition et de l’épître dont elles invitent à découvrir et décrypter le sens énigmatique.
Cette allusion au Dauphin réapparaît tout au long de la lecture dans chacun des volumes puisque la plupart des chapitres se terminent par un cul-de-lampe gravé sur bois, d’après des dessins de Leclerc, qui reprend un ou plusieurs éléments de l’iconographie delphinique, à savoir les armoiries dans un cartouche surmonté de la couronne aux dauphins (IFF 1616) [38], la devise Par dum respiciet avec le parélie (IFF 1614), et le chiffre de Louis maintenu par deux dauphins au naturel et sommé de nouveau de sa couronne (IFF 1615) [39]. Les culs-de-lampe sont également des remplois des illustrations gravées en 1664 pour l’Abrégé chronologique de l’histoire de France de Finé de Brianville [40]. Leur fonction est de rappeler au Dauphin que ce livre lui est consacré et que cette histoire est écrite pour son éducation, ce que le texte ne lui remet à aucun moment en mémoire. Les culs-de-lampe l’obligent donc à s’impliquer davantage dans sa lecture et, par l’utilisation du parélie, ils lui présentent de façon réitérée l’exemple de son père.
Les vignettes : de l’importance du titre et de l’image
Les vignettes se trouvent sur la page de gauche. Elles viennent après le titre du livre, abrégé en « HISTOIRE SACREE », avec un des deux mots sur chaque page. Elles ouvrent chaque chapitre, dont le titre est indiqué au-dessous en majuscules avec, à gauche, la date depuis la création du monde et, à droite, celle qui est antérieure à la naissance du Christ (figs. 8 et 9). Cette présentation, simple et rigoureuse, qui encadre l’image en lui donnant la part belle, n’allait pas de soi. Ainsi, en 1621, dans la Sainte Bible francoise de Frizon [41], elle vient entre « l’argument » et la « description » (fig. 10). En 1657, dans les Peintures sacrées sur la Bible de Girard [42], elle apparaît en tête, mais sans qu’elle soit accompagnée d’aucun titre, avec ensuite l’« explication », le numéro du chapitre, le titre discursif du chapitre en italique et « l’exposition de la peinture » (fig. 11). Dans la Bible dite de Royaumont, qui paraît en 1670 [43], la même année que l’Histoire sacrée, et qui propose également une gravure par chapitre, comme pour les précédentes, vient d’abord le titre du chapitre avec la référence au livre dont il est issu, puis l’illustration avec un sous-titre assez peu lisible de deux ou trois lignes, qui mêle minuscules et italiques (fig. 12 ). Ainsi chez Finé, contrairement à ses prédécesseurs et contemporains, l’image et le titre sont indissociables. L’image, par son apparition régulière, rythme le livre et en ponctue la lecture, mettant en évidence chaque chapitre. Par sa concision, le titre permet une meilleure mémorisation du texte et de l’image. La démarche pédagogique est donc plus efficace et mieux adaptée à l’âge de l’enfant que ce n’est le cas par exemple pour la Bible de Royaumont, destinée elle aussi au Dauphin.
[26] Le privilège est daté du 2 juillet 1669. Défense était faite à tous « graveurs, imprimeurs libraires d’imprimer et graver & débiter ledit livre, sous prétexte de changement, augmentation ou autre à peine de 4000 livres d’amendes et confiscation » (en ligne. Consulté le 29 mai 2023).
[27] Il fut réédité en 1677 par Sercy, qui obtint un nouveau privilège le 6 novembre 1676, car la plupart des exemplaires avaient brûlés lors de l’incendie du collège de Montaigu : pour le dédommager, lui furent accordés 30 ans supplémentaires.
[28] En ligne. Consulté le 29 mai 2023.
[29] En ligne. Consulté le 29 mai 2023.
[30] Dans l’Abrégé, Finé donne la description de la composition : « environné(es) de deux Ordres du Roy [il] est supporté par deux anges armez & revestus de cottes d’armes, l’un à droite aux blasons de France, tenant une bannière de mesme, & ayant sur son casque une double fleurs-de-lys pour cimier ; l’autre à gauche aux blasons de Dauphiné tenant la bannière Dauphine & coiffé d’un Dauphin pour heaume », le tout avec son cri : « Mont Joye st George » (Abrégé méthodique de l’histoire de France, Op. cit., p. 360). Il précise que les enroulements latéraux du socle sont faits d’un dauphin dressé la tête en bas tandis qu’au centre du cartouche se voit un dauphin dans l’eau et un autre dans le ciel au milieu d’un cercle d’étoiles. Sur le socle, le motto (« coelum tempestatesque serenat ») tiré de l’Enéide (Livre I), dont il donne la traduction « avec cet air serein qui calme la tempête ». Le cuivre, extrêmement usé, fut remplacé par un autre de Gabriel Ladame (actif de 1634 à 1682) pour l’Abbrege methodique des principes heraldiques, ou du veritable art du blason (Paris, 1659 chez Coral, p. 196 et les années suivantes). Ménestrier dénonça le costume des anges tel qu’il apparaît dans la gravure de Leclerc et qu’on trouve déjà en 1609 et 1619 chez ceux de Léonard Gaultier (Tableau des armoiries de France de Philippe Moreau et l’Histoire généalogique de la Maison de France de Scevole et Louis de Sainte Marthe : IFF, Gaultier 1961, n° 343). Est-ce la raison pour laquelle les anges de Ladame sont vêtus de dalmatiques, ainsi que le préconisait le savant jésuite ?
[31] Il précise que ces histoires sacrées lui découvriront « les véritables routes qui mènent à la Solide Immortalité », qu’il y puisera les « sentimens de cete Piété généreuse qui les a rendus [ces héros] plus fameux que ny leur rang ny leurs conquestes » (Abrégé méthodique de l’histoire de France, Op. cit. pp. 320-321).
[32] Le frontispice et la devise sont absents de l’édition de 1664 (IFF 1609 ; M. Préaud ne mentionne pas celle de 1667 ; ex : Bibl. de Rattisbone, en ligne. Consulté le 29 mai 2023). Le frontispice et la devise sont réutilisés en 1668 dans la traduction des Quatrains de Pibrac par Etienne François Le Gal, éditée également par Charles de Sercy (IFF p. 256), avant de l’être deux ans plus tard dans l’Histoire sacrée. Placé dans ce livre au bas du portrait du Dauphin gravé par Larmessin en 1667, d’après Beaubrun, au bas duquel se trouve le célèbre motto : « Par dum respiciet », le poème résume ce rapport entre le père et le fils, que met en évidence le parélie : « Petit soleil, je suis du grand l’image. De sa splendeur je tire mon éclat/ Le regardant éclairer son Etat, /Sous luy je fais un bon Apprentissage » (en ligne. Consulté le 29 mai 2023), gravure placée après la page de titre ; IFF Nicolas I de Larmessin, 1973, n° 401).
[33] Ménestrier le traduit de la sorte dans l’Abrégé méthodique des principes héraldiques (1672) : « Il donne de l’éclat à tout ce qu’il regarde » ; et Bouhours dans les Entretiens d’Ariste et d’Eugène : « Je brille comme lui tandis qu’il me regarde » (Paris, F. Delaulne, 1721, p. 437). « Je trouve belle et fort propre à M. le Dauphin, dit Eugène, la devise d’un météore qui représente le soleil qu’on nomme Parelie » (Abrégé méthodique des principes héraldiques). Ménétrier accuse de plagiat Gilles-André de La Roque (1597-1686), qui utilise lui aussi la gravure de Leclerc dans La Méthode royale (Paris, Sergy, 1671 ; il s’agit de celle du second volume, voir plus bas), lui-même l’ayant publiée dès 1659 dans Le Véritable art du blason (Paris, B. Coral). Voir Auguste Vachon, « Une accusation de plagiat héraldique au XVIIe siècle, contre Gilles André de La Roque, généalogiste, historien de la noblesse » (en ligne. Consulté le 29 mai 2023). Paul Allut rapporte que Menestrier accusa également Finé de cette fraude, ce qui les brouilla définitivement (Recherches sur la vie et sur les œuvres du P. Claude François Menestrier, Lyon, Nicolas Scheuring, 1756, pp. 48-49).
[34] B. Teyssandier, « L’Histoire sainte dans l’éducation du prince au Grand Siècle : les sieurs de Brianville et de Royaumont », art. cit.
[35] BnF, Ye 51 (en ligne. Consulté le 29 mai 2023) ; également signalée par Maxime Préaud (IFF 1609.2).
[36] Traduction parue dans la Société rouennaise de Bibliophiles (1906, p. 13). L’auteur de la traduction n’est pas indiqué.
[37] Là aussi, Finé réutilise indépendamment, en feuille volante, la gravure, le motto et le sonnet qui accompagnent la dédicace suivie de sa traduction latine, « Stella Magorum » [« Etoile des Mages »] faite par le jésuite poitevin Pierre Olivier.
[38] Finé en donne la description dans l’Abrégé : la couronne « est rehaussée de fleur-de-lys d’or, & fermée de quatre Dauphins, dont les queues viennent s’unir à un bouton, soustenant une fleur-de-lys à quatre angles qui est le Cimier de France », p. 336.
[39] Le premier cul-de-lampe mesure 40 x 62 mm (IFF 1614) ; le deuxième, 44 x 45 mm (IFF 1615) et le troisième, 51 x 55 mm (IFF 1616). Lorsqu’il dispose de trop peu de place, Sercy utilise six autres fleurons qui lui appartiennent en propre : vase de fleurs, coupe de fruits, motif de quatre grandes fleurs et de deux palmes ; simple motif floral typographique. Il ne semble pas qu’il y ait d’autre logique dans le choix des fleurons pour tel ou tel chapitre que la place laissée libre au bas de la page (figs. 5, 6 et 7 ).
[40] Sur cet ouvrage : IFF 1608-1611. Les culs-de-lampe furent réutilisés en 1671 par Sercy pour la Méthode facile de La Roque (Op. cit.) et en 1698 pour l’Abrégé méthodique de la géographie (utilisations non signalées dans l’IFF).
[41] Pierre Frison, La Sainte Bible française, Paris, J. Richer, 1621, 3 vol. (Bibliothèque cant. et univ. de Lausanne : en ligne. Consulté le 29 mai 2023).
[42] A. Girard, Peintures sacrées sur la bible, Paris, A. de Sommaville, 1653.
[43] N. Fontaine sieur de Royaumont, Bible dite de Royaumont : Histoire du Vieux et du Nouveau Testament représenté avec des figures et des explications édifiantes, Paris, Pierre Le Petit, 1670.