Découvrir le monde par la musique et les sons est aussi l’objectif d’une autre initiative qui  commence sa publication quelques années plus tard,  celle du magazine Il Giornalino,  destiné aux lecteurs de 8 à 11 ans. Née en 1924 dans les milieux catholiques,  cette publication s’est enrichie en 1972 de l’Enciclopedia audiovisiva (fig. 6), une encyclopédie de l’audiovisuel destinée à faire découvrir le monde  « de manière moderne et révolutionnaire », comme le dit la présentation du  projet. Il s’agit de fascicules à acheter en plus de la revue, de quatre pages  chacun, avec une image centrale, souvent une photographie couleur, destinée à être affichée  au mur d’une chambre, accompagnée d’un disque 33 tours (fig. 7). 
   A l’origine, 80 fascicules  étaient prévus, mais malheureusement le projet fut vite abandonné probablement en  raison de ventes faibles et des coûts de production trop élevés. Les deux numéros consacrés à la Chine et aux   Andes témoignent d’une   extraordinaire expérimentation pour l’époque. Ils sont accompagnés d’un disque permettant d’entendre les sons des instruments  de musique représentés dans le livret, mais également des compositions originales et des pièces musicales  inspirées du pays. Un  troisième fascicule présente les sons de la nature, et a vocation à sensibiliser les plus jeunes au monde qui nous entoure : le chant des oiseaux, la pluie, le vent, l’orage,  ou les bruits de la ville. Dans ce dernier on  trouve aussi des pièces de  compositeurs qui s’en sont inspirés : Bernardo  Pasquini, Jean-Philippe Rameau, Pagano, la Polonaise Marta Ptazynska.
   A partir de 1974, les éditions  Fabbri présentent à leur tour une collection pour la jeunesse intitulée Natura, dirigée par Valerio Giacomini et Serge Bertino. Il s’agit de vingt-six volumes illustrés qui racontent le Cap Horn,  les Galapagos, la Sibérie, l’Inde, les Andes, le Sahara, la Chine, le Japon, l’Antarctique... (fig. 8).
   Chaque ouvrage d’environ 160  pages et de format 30x40 cm est composé d’une carte géographique qui permet de  situer la zone considérée et d’un texte narratif qui entend renseigner et éveiller l’intérêt du lecteur. Chaque  exemplaire est également illustré de photographies  couleur. Le lecteur découvre les étendues de  glace du Pôle Nord, les fonds marins, la magnificence des séquoias, ou des moments de vie comme les fêtes traditionnelles ou les  couleurs des costumes traditionnels des peuples des Andes. Il ne s’agit  pas d’une simple description géographique, comme le  titre de la collection pourrait le suggérer. Dans l’idée de ses auteurs, parler  des Montagnes Rocheuses, c’est non seulement aborder le sujet du point de vue  géomorphologique, mais c’est aussi décrire l’histoire des populations qui les  habitent, raconter les pionniers, faire des comparaisons avec les Alpes (qui  sont supposées proches et connues du lecteur), enquêter sur ce qui se passe  lorsqu’un lieu se dépeuple parce que ceux qui y vivent, par choix ou par force,  partent ailleurs (fig. 9).
   Serge Bertino, qui a conçu  cette collection, était à l’origine un réalisateur de documentaires de la série « Cacciatori di immagini » (1958). Bertino lui-même avait alors travaillé dans l’équipe du commandant  Cousteau qui signe d’ailleurs quelques textes. D’autres documentaristes  italiens, dont Eugenio de Rosa, Ezio Gaya, Valerio Giacomoni, Michele  Maza, Enrico Sturani participeront à cette publication, que compte aussi des  titres signés par Paul Emile Victor et Henri Lhote. Il  est intéressant de souligner que Bertino n’a pas beaucoup voyagé. Il écrivait  dans sa maison des Alpes occitanes italiennes, en se basant sur des recherches,  sur des lectures de livres, en compilant des textes « de seconde main » !
   Ce n’est certainement pas un hasard si une collection  de livres photographiques comme celle-ci, s’adressant aux jeunes pour éveiller  leur intérêt, est éditée en Italie à cette période et connait beaucoup du succès.  En effet, à partir de 1965 et jusqu’à  la fin des années 1970, le grand alpiniste Walter Bonatti parcourt le monde pour  le compte du magazine Epoca, magazine  qui a changé la manière de faire du journalisme en Italie grâce à ses enquêtes  et ses reportages photographiques uniques en leur genre. Il y signe de grands reportages  photographiques tirés de ses voyages (fig. 10), qui ont beaucoup de succès auprès du public italien. A chaque  article signé de Bonatti, Epoca voit  sa diffusion augmenter considérablement et le magazine pénètre dans la majorité  des maisons italiennes. La collection Natura, avec ses ouvrages  photographiques à destination des adolescents familiers de ses reportages, vient alors compléter ses articles et la  découverte du monde. Elle accueille des  titres qui parlent des mêmes lieux racontés par Bonatti, comme Capo Horn (1974), L’Amazzonia (1974), Ruwenzori. L’Africa di ghiaccio (1974), Le Galapagos (1976). Le but affiché est  le même : faire découvrir les « terres  lointaines » [1] et les faire vivre au lecteur, en l’amenant à  connaître les autres et le monde « sans barrières, sans  superficialité, sans stéréotypes » [2].
   Bonatti choisit une immersion totale dans les lieux  où il se rend pour que le lecteur se sente le plus possible présent à ses pas  et à ses actions ; il renonce aux moyens offerts par la technologie,  aucune instrumentation sophistiquée dans les dépôts de matériel préparés  précédemment, seulement une petite quantité de vivres et l’inséparable appareil  photo. Il partage son aventure non pas avec d’autres voyageurs occidentaux,  comme dans les expéditions traditionnelles, mais avec les habitants permanents  des lieux sauvages, qu’ils soient animaux ou humains.
   Comme le souligne Franco Michieli dans le catalogue  de l’exposition consacrée à l’alpiniste par le Musée de la Montagne de Turin [3], en Italie au début des années 1960, le rapport  entre l’homme et la nature sauvage est redevenu vierge : les problèmes de  l’après-guerre, la reconstruction et l’inexistence du tourisme exotique  reléguent le « sauvage » à l’imagination et aux romans d’aventure,  considérés comme des lectures pour enfants. Pourtant, les lieux sauvages  existent plus que jamais. Bonatti raconte, comme avant lui Melville, London et  d’autres écrivains, des vies et des mondes qui sont réels, lointains certes,  mais qui nous concernent et que, par conséquent, la curiosité humaine ne peut  ignorer. Il s’agit d’un stimulant considérable pour l’Italie agricole et  industrielle par tradition hostile au « sauvage », qui commence  ainsi, presque sans s’en apercevoir, à admettre de nouvelles perspectives.
    
   
    
    
 
   [1] Andrea Muratore, « Il giornalismo eroico di Walter Bonatti », Rivista Contrasti, 13 septembre 2021 (en  ligne. Consulté le 25 juillet 2022).
[2] Ibid.
[3] Franco Michieli, « Un giornalista dell’Ottocento :  la nuova avventura », dans Walter Bonatti. Stati di grazia.  Un’avventura ai confini dell’uomo, Milan, Solferino, 2021, pp. 113-120.  Pour le dixième anniversaire de la disparition de Walter Bonatti, le Musée national  de la Montagne de Turin a présenté l’exposition Stati du grazia (Etats de grâce) (juin 2021-mars 2022),  fruit et couronnement du travail de réorganisation, de catalogage et de  numérisation des Archives Walter Bonatti, donnés au musée en 2016 par les  héritiers de l’alpiniste et explorateur (en  ligne. Consulté le 25 juillet 2022).