Idéologie et exotisme – Anna Riwkin

et Children of the World
- Elina Druker
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Fig. 2. A. Riwkin-Brick, Boy in Israel, s. d.

Dans Noriko-San, Girl of Japan, nous suivons Noriko qui se réveille, s’habille et prend le petit-déjeuner avec sa mère :

 

- Hon äter förstås med pinnar, som människor gör i Japan. Fast det är nog rätt så svårt, när man bara är fem år. All maten har hon på en särskild liten bricka. För I Japan får varenda en en liten bricka för sej själv.
[...]
Du förstår, barna I Japan tycker allra mest o matt leka i trädgården. Men just den här dan är väl Noriko-San så fin att hon knappt kan springa alls, när hon har sin kimono och sina konstiga skor. ‘Pokuri’ heter Noriko-Sans skor. Och kan du gissa vad hennes konstiga strumpor heter? ‘Tabi.’ Tänk att dom säger ‘pokuri’ och ‘tabi’ i Japan, när vi sager ‘strumpor’ och ‘skor’!


Elle mange avec des baguettes. Au Japon, on mange toujours avec des baguettes. Parfois c’est difficile quand vous n’avez que cinq ans. Toute sa nourriture est sur un plateau. Au Japon, chacun a un plateau différent.
[...]
Au Japon, les enfants préfèrent jouer dans le jardin mieux que n’importe quoi. Mais aujourd’hui Noriko-San a mis sa plus belle robe, et elle arrive à peine à bouger dans son kimono et ces talons hauts. Ses chaussures sont aussi appelées « pokuri ». Et ces chaussettes s’appellent « tabi ». Ils disent « pokuri » et « tabi » au Japon, alors que nous disons « chaussures » et « chaussettes » ! [5]

 

Les tâches quotidiennes de Noriko-San sont familières au lecteur, mais en même temps les différences sont accentuées. Les habits, les meubles, la nourriture et les jouets japonais sont introduits à la fois dans le texte et dans les images. De diverses façons, l’approche est similaire à celle utilisée dans ce qu’on appelle les livres « concepts » pour jeunes enfants, contenant des illustrations photographiées, où les objets de tous les jours sont représentés, tels que les jouets, les habits, les meubles, la nourriture et les animaux domestiques. L’accent est mis sur les jeunes enfants et leur environnement. Cependant, dans les récits photographiques de Lindgren et Riwkin, cette approche est élargie et une force idéologique leur est apportée, puisqu’un seul enfant est utilisé pour représenter une culture spécifique. Ainsi, les descriptions détaillées de l’environnement des enfants et de leurs vies sont utilisées pour montrer que les enfants du monde entier se ressemblent.

Susan Sontag affirme dans son introduction On Photography (1973) que les photographies « enlarge our notions of what is worth looking at and what we have a right to observe » [6]. Cette idée éclaire les livres de Lindgren et Riwkin. Le lecteur est confronté à des situations communes de tous les jours, familières à un enfant, et pourtant elles paraissent d’une certaine façon nouvelles et inhabituelles. Ce type d’interaction entre l’étrangeté et la familiarité est évident dans les livres Children of the World, une interaction que Paula Rabinowitz affirme être significative pour la photographie en général. Rabinowitz suggère que « [l]ooking at photographs is both a transgressive and comfortable act – difference is domesticated, brought home for inspection, open to critique, but the everyday is glaringly made strange, remarking on one’s own position even as another’s life is revealed » [7].

Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, un désir de solidarité et de paix mondiale s’exprime de différentes façons, également dans la littérature d’enfance et de jeunesse [8]. L’idée de l’internationalisme est évidente dans les livres de Lindgren et Riwkin, exprimée à travers un intérêt et une appréciation des différentes cultures du monde. L’idée de la photographie comme méthode objective de reproduction de la réalité est cruciale pour le concept. Selon Sontag, regarder des photographies signifie que nous nous mettons « into a certain relation to the world that feels like knowledge » [9]. Ceci est important pour les séries de livres qui ont pour but de donner une représentation précise des enfants et de leur vie, par la recherche d’un mode de représentation « authentique ». A cette fin, l’image photographique s’avère être un moyen idéal, qui soulève des questions concernant la photographie et ses relations avec les notions « d’authenticité » et « d’objectivité ». Puisque les images photographiques sont des traces physiques réelles de personnes ou d’objets existants, les photographies ont souvent été considérées comme plus référentielles que les mots. Roland Barthes souligne le lien physique dans sa dernière œuvre majeure Camera Lucida (1980), dans laquelle il débat de la nature de la photographie : « La photographie est littéralement une émanation du référent » [10]. D’une façon similaire, Sontag fait référence aux photographies comme « something directly stenciled off the real, like a footprint or a death mask » [11].

Le choix du moyen de communication dans les récits photographiques de Riwkin est significatif. Les codes visuels avec des approches documentaires sont appliqués, faisant penser au photojournalisme ou à la photographie documentaire. En outre, les livres sont lancés à une période où l’essai photographique journalistique en tant que genre devient important. La période est souvent considérée comme « la période glorieuse » du photojournalisme avec des magazines à succès comme Life, Picture post et Berliner Illustrierte Zeitung, et des journaux comme The Daily Mirror et The New York Daily News. Même si elles emploient les mêmes stratégies visuelles que celles de la photographie documentaire et journalistique, les photographies dans les livres de Lindgren et Riwkin-Brick sont souvent minutieusement mises en scène et dirigées, illustrant le déroulement narratif des événements. La mise en scène des images inclut le choix du contexte, des habits et des motifs, mais aussi des aspects tels que l’angle, le recadrage et l’utilisation de gros plans. Cependant, quand il s’agit de la technique photo utilisée par Riwkin, les associations similaires aux reportages sont significatives. Par exemple, elle baisse souvent l’appareil photo pour être à la hauteur des yeux de l’enfant, évitant ainsi un angle où le regard de l’enfant est dirigé de bas en haut vers l’appareil photo. Une photographie prise au niveau de l’enfant permet de penser l’enfant comme un égal, contrairement à celles prises de dessus qui donnent une impression de domination. Ainsi, les gros plans sont utilisés pour accentuer le contact des yeux, un élément visuel fort, et sont notamment fréquents sur les couvertures des livres, créant un lien plus direct entre l’image et le lecteur (fig. 2).

 

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[5] En l’absence de tradution officielle, nous traduisons.
[6] Susan Sontag, On Photography, Harmondsworth, Penguin, 1979, p. 3.
[7] Paula Rabinowitz, They Must Be Represented. The Politics of Documentary, London and New York, Verso, 1994, p. 25.
[8] Nina Christensen, « Teaching tolerance: a comparative reading of two Danish picture books », Bookbird, 1999, 1999 (37:4), pp. 11-16.
[9] Susan Sontag, On Photography, Op. cit., p. 3.
[10] Roland Barthes, Camera Lucida - Reflections on Photography (La chambre claire. Note sur la photographie 1980). Translated by Richard Howard. New York, Hill and Wang. 1981, p. 80.
[11] Susan Sontag, On Photography, Op. cit., p. 154.