Les illustrations des livres de dévotion
de Puget de La Serre et leurs copies

- Véronique Meyer
_______________________________

pages 1 2 3 4

Fig. 12. M. Lasne, Les Derniers
sacrements
, 1627

Fig. 13. M. Lasne, La Mort porte
dans sa hotte les attributs du
pouvoir
, 1627

Fig. 14. Anonyme, Le Char
de la mort
, 1670

Fig. 15. Anonyme, Les Tombeaux
d’Alexandre, Crésus et Hélène
, 1670

Fig. 16. Anonyme, Le Christ
étendu sur son tombeau...
, 1670

Ce rapport croisé se retrouve plus étroit encore dans la quatrième illustration [53], qui montre les derniers sacrements (fig. 12). Face à l’image, le texte commence par ces mots en italiques, qui apparaissent sept fois [54] : « Il faut mourir ; c’est une loy de necessité… » ; « Il faut mourir, mais on ne sçait pas l’heure […] ». La Serre répète encore sept fois une autre sentence en italiques : « O espouventable moment, où l’Arrest de nostre seconde vie, ou de nostre seconde mort, est prononcé ! » [55]. Suivant un thème qui lui est cher, il prend pour cible la vanité féminine qui repose sur son éphémère beauté :

 

Il faut comparoistre, mes Dames, chacune à son tour, dans ceste funeste couche, l’horloge que la mort porte à la main a sonné l’heure du trépas de la plus belle : Il faut mourir ; (…) Helas ! quel changement. Je cherche les majestez que j’ay veuës sur son front, & je ne trouue que l’horreur et l’effroy [56].

 

Il ajoute :

 

Qui diroit, voyant ceste Dame en l’état où elle est réduite, que c’estoit avant-hier la plus belle de la ville. Sa compagne fut au bal avec elle, où tous les plus braves la courtisoient à l’envy […] [57].

 

Plus loin, il compare sa beauté passée à ce qu’elle est devenue :

 

Jettez les yeux sur cette funeste couche, et vous verrez une image vivant de vous mesme, ou plustot mourant et réduit aux abois [58].

 

La femme, « abandonnée de tout le monde à l’heure de sa mort », « n’y voit qu’à la lumière des flambeaux mortuaires bruit confus de soupirs et de plaintes… » [59]. Et Puget conseille ses compagnes :

 

Il est bon, mes Dames, que vous luy présentiez un miroir, afin qu’elle employe ses derniers regards à la funeste contemplation des espouventables ruines de sa beauté, quelle grimace ne fait-elle point ? Son visage hideux n’espouvante pas seulement les petits enfans, mais les plus courageux encore. Mirez-vous dans ce miroir mes Dames […] [60]

 

Ce tableau effrayant s’adresse aussi aux hommes :

 

Voilà, Courtisans, l’idole de vos passions, voyla le suject de vos peines ; quelle honte vous est-ce maintenant d’avoir adoré cette carcasse pleine de vers & de pourriture ? [61]

 

La conclusion s’impose et s’adresse à tous : « Pensez donc continuellement à la mort » [62], « Pensez aux douleurs (de l’enfer) lorsque serez sur le lit de la mort ». La Serre renvoie ainsi aux illustrations précédentes, celle où la Mort porte dans sa hotte les attributs du pouvoir (fig. 13) et celle des damnés en enfer.

Plus que dans Les Pensées de l’éternité, les six illustrations des douces pensées de la mort (Bruxelles, Vivien, 1627 [63]) résument le contenu des douze chapitres. La Serre développe l’idée qu’il n’est pas de plus « douces pensées » que la Mort, que « nous sommes des esclaves enchaisnez dans les prisons de nos corps », que Dieu est mort pour les hommes, et que ses souffrances, sa miséricorde, « les peines que [Notre] Sauveur a souffertes sur le mont de Calvaire, ont été fécondes à produire divers supplices, en faveur d’un nombre infini de martyrs » [64]. Les gravures n’illustrent pas précisément un chapitre, mais rendent compte du ton et du contenu de l’ouvrage. Il n’y est fait nulle part allusion au Char de la Mort conduit par le Temps (fig. 14), et suivi par les puissances religieuses et civiles, mais tout y ramène. Rapprochons la gravure d’un passage de la page 42 :

 

Il faut que les Roys et les princes, & tous ceux qui sont eslevez a (sic) quelque grande fortune, confessent qu’il y a un grand plaisir à mourir (…), que l’Horloge qui tient compte des heures de notre vie, a beau sonner vingt et quatre fois le jour, ils ne l’entendent pas plus que s’ils étaient sourds.

 

Pareillement, la représentation du Tombeau d’Alexandre, de Crésus et d’Hélène (fig. 15) [65] illustre les chapitres 5 et 6, « Méditation sur le tombeau d’Alexandre », « de Crésus », « de Salomon » et « d’Hélène ». Car « de toutes les loix que la nature nous a imposées celle de mourir est la plus douce » [66]. Et La Serre somme les rois « de comparoistre au Tombeau pour y voir dedans, les vers, la pourriture et l’infamie du plus grand, plus heureux, plus puissant & plus redoutable Monarque du Monde, & pour tout dire en un mot d’Alexandre (…) Descendez de vos Throsnes sur ce fumier, où gist le compagnon de vostre gloire, & de vos grandeurs, voyez & contemplez le portrait de vous mesmes, tiré au naturel d’après l’original de vos misères » [67]. Il conclut : « Pleurez pleurez grands Roys à la veüe des misères, ou plustôt au sentiment des vostres, si plus grand du monde n’est que poussière… » [68]. Cette planche est la seule qui soit reprise dans toutes les éditions car le long passage qu’elle illustre ne pouvait l’être par aucune autre.

Le titre du chapitre suivant résume et commente l’image : « Comme celuy qui nous a imposé la loy de la mort, en a souffert toutes les douleurs ensemble » [69] annonce le Christ étendu sur son tombeau entre saints François et Jérôme (fig. 16). Mais cette gravure évoque aussi de nombreux passages du livre :

 

Pleurez, pleurez mes yeux, toute l’eau de vos sources humides [70], respandez hardiment la dernière larme sur ceste croix où mon sauveur a respendu la dernière goutte de son sang [71].

 

Puget ajoute plus loin : « O chère Croix, l’unique souhait de mon âme… le plus doux objet de mes yeux » — « O chère Croix » est répété six fois en italiques. Ainsi suivant les cas, et dans un même ouvrage, les illustrations ont un rapport à la fois analogique et mimétique avec le texte, puisque tour à tour elles illustrent un passage précis et en résument le contenu.

 

La Serre s’impliqua-t-il dans ces copies ? L’intervention de Spirinx à la fois à Paris et à Lyon, dans les éditions du Miroir qui ne flatte point, un des premiers livres bruxellois diffusé en France, le laisse supposer, ainsi que la parution simultanée des éditions de Bruxelles, Paris, Lyon et Rouen. De toute évidence, quelle que soit leur qualité, les estampes sont un gage de vente. Le prix des copies est sans comparaison avec celui des gravures originales, car le travail en est expéditif. Mieux vaut une mauvaise gravure que pas de gravure du tout, et malgré la médiocrité de certaines, les illustrations semblent essentielles aux libraires. La Serre lui même « tenoit pour maxime qu’il ne falloit qu’un beau tiltre et une belle taille-douce » [72]. La question de la réception se trouve évidemment posée. Comment ces illustrations étaient-elles jugées ? L’exemple de La Serre est-il exceptionnel ? Il est difficile d’en décider car les études sur les copies et le livre illustré sont trop peu nombreuses ; on se plaît à juger des belles compositions et des gravures originales dues aux plus grands artistes ; la production plus banale, celle des copistes et des épigones, qui fut de loin la plus abondante, reste encore trop négligée.

 

>sommaire
retour<

[53] Ibid., p. 258.
[54] Ibid., p. 259.
[55] Ibid., pp. 267-268.
[56] Ibid., p. 275.
[57] Ibid., p. 276.
[58] Ibid., p. 278.
[59] Ibid., p. 280.
[60] Ibid., pp. 288-289.
[61] Ibid., p. 294.
[62] Ibid., p. 301.
[63] La BnF ne conserve pas d’exemplaire de cette édition. Nous reproduisons ici les estampes de l’édition bruxelloise de Philippe Vleugart (1670), conservée à la Médiathèque de Troyes (cote : mit.g.8.22/23).
[64] Les Douces pensées de la mort, éd. cit., pp. 4-5.
[65] Voir aussi fig. 6 .
[66] Titre du chapitre 7.
[67] Ibid., p. 85.
[68] Ibid., p. 101.
[69] Titre du chapitre 10.
[70] C’est ainsi que le ton de Puget est parfois pré-cornélien (Voir par exemple Le Cid, Acte III, scène 3).
[71] Ibid., p. 242.
[72] T. des Réaux, Historiettes, éd. établie et annotée par A. Adam, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1961, tome II, p. 542.