Les illustrations des livres de dévotion
de Puget de La Serre et leurs copies
- Véronique Meyer
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Fig. 9. M. Lasne, Isabelle-Claire Eugénie, 1627
Fig. 10. C. Galle, Portrait de
Jean Puget de La Serre, 1630
Fig. 11. M. Lasne, Apparition du
nom de Dieu entouré d’anges, 1627
La Serre se plaît à décrire l’inconséquence humaine. Dans Le Bréviaire des courtisans, L’Entretien des bons esprits sur les vanités du monde, Le Tombeau des délices du monde et Les Pensées de l’éternité, il montre l’homme victime de ses sens, entraîné par les plaisirs de la vie évoqués par les festins, l’amour des femmes et de soi-même, alors que la vie n’est qu’un long cheminement vers la Mort. Il rappelle aux vivants que la vie éternelle sera dans la joie ou la douleur suivant la voie suivie, et qu’il leur faut se préparer à la Mort ; il leur rappelle l’importance des derniers instants qui attendent chacun, femme ou courtisan ; dans Les Saintes affections de Joseph, il représente les derniers instants de la Vierge et de Joseph qu’il évoque de nouveau dans Les Merveilles de l’amour divin. Pour leur montrer leur responsabilité, La Serre met en parallèle la vie des courtisans avec la passion du Christ [40], la vie de Job et celle des saints, François d’Assise et Jérôme notamment. Suivant une formule désuète, que Van Der Horst et Sallaert manient avec maestria, sujets profanes et religieux se mêlent dans le Tombeau des délices du monde (Reims, 1631), Le Bréviaire des courtisans (Paris, 1632 / Rouen, 1630, 1634) et L’Entretien des bons esprits.
La place des portraits des dédicataires
La Serre dédie ses ouvrages à de hauts personnages, pour donner plus de poids et de légitimité aux premiers, et aussi sans doute pour gagner la protection des seconds. Il les montre dans un oratoire, à genoux sur un prie-Dieu devant un autel, comme le marquis de Saint-Remy dans les Douces pensées de la mort, Isabelle-Claire Eugénie dans Les Pensées de l’éternité (fig. 9), Anne d’Autriche dans La Vierge mourante sur le mont de Calvaire, Mlle d’Arschot dans Les Merveilles de l’amour divin, et plus rarement en buste dans un médaillon, entouré de ses armoiries et de vers à sa louange, comme Tilly dans Le Tombeau des délices du monde (1630), ou d’attributs par allusion à ses vertus, comme Charles 1er et Henriette d’Angleterre dans Le Miroir qui ne flatte point et de nouveau Tilly (par Vorsterman d’après Van Der Horst) dans Les Saintes affections de Joseph (1631). Ces portraits sont repris dans les éditions parisiennes et, bien que les dédicaces soient en général conservées longtemps après la mort du dédicataire, ils n’ont été copiés qu’exceptionnellement dans les publications provinciales [41]. Si La Serre fait le plus souvent suivre la dédicace d’un avis au lecteur, il ajoute parfois son propre portrait [42] que les éditeurs français ne manquèrent pas de copier. Deux modèles : le premier, en habit de cour, avec un élégant col de dentelle et un pourpoint brodé de fleurs, apparaît dans Les Merveilles de l’amour divin et Les Douces pensées de la mort sous le burin de Cornelius Galle ; le second, en soutane avec un petit collet, dont on connaît au moins sept versions dérivées de la gravure de Cornelius I Galle d’après Van Der Horst (fig. 10), se voit dans le Tombeau des délices du monde, Le Bréviaire des courtisans (Bruxelles, Vivien, 1630 [43]), et Les Saintes affections de Joseph (1631). Séjournant à l’étranger lors de la parution de ses livres, La Serre souhaite garder le contact avec son lectorat français. La présence de son portrait et l’immédiateté des éditions entretiennent le souvenir de ses concitoyens et préparent son retour à Paris.
Raison d’être des copies
Chaque livre de dévotion de La Serre a immédiatement donné lieu en France à au moins trois séries de copies qui furent suivies pendant tout le siècle par un grand nombre de nouvelles éditions. Il faut encore leur ajouter celles qui parurent en Espagne, en Allemagne et en Italie. A l’exception des in-12, tous ces livres sont illustrés. Dès l’origine, les gravures furent indissociables du texte. En en révélant à la fois le ton et le contenu, elles devaient marquer l’esprit du lecteur tout en le conditionnant d’emblée.
L’abondance de ces copies invite à s’interroger sur le rapport du texte et de l’image. L’importance des illustrations est attestée par la fréquente mention de leur présence sur le titre, dès l’un des premiers livres de dévotion, Les Pensées de l’éternité (Paris, Baragnes, 1627). Cette mention est reprise tout au long du siècle dans les éditions parisiennes, lyonnaises et rouennaises, avec parfois quelques qualificatifs supplémentaires. Ainsi Courbé et Sommaville (Paris, 1628) précisent que le livre de La Vierge mourante sur le mont de Calvaire est « enrichi d’un grand nombre de figures et dédié à la Reyne », et Candy (Lyon, 1630 [44]) qu’il est « enrichi d’un grand nombre de belles figures ». Le propos vaut d’être souligné car ces planches sont très médiocres ; mais il est possible qu’elles aient plu, car elles scandent agréablement l’ouvrage et divertissent le lecteur.
Cette surenchère apparaît aussi dans Le Miroir qui ne flatte point édité à Paris par Soubron en 1633 : « Enrichi de plusieurs belles figures », alors que Schoevaerts, à Bruxelles en 1632, avait simplement indiqué « enrichi de figures ». Dans l’édition parisienne de 1630, Le Bréviaire des courtisans est « enrichi d’un grand nombre de figures ». L’adjectif « grand » disparaît dans celle de Besongne, publiée à Rouen la même année, alors que le Parisien Jérémie Bouillerot le conserve en 1632, 1639 et 1645, de même que les éditeurs bruxellois [45]. A Lyon, en 1648, Nicolas Gay indique en lettres rouges que le livre est « Enrichy de plusieurs belles et sainctes figures » ; la mention est surprenante car, dans le seul exemplaire conservé, il n’y a qu’un Saint Jérôme [46] en frontispice.
Le rapport texte-image
Les gravures doivent-elles interpréter strictement le texte, ou peuvent-elles en proposer une libre interprétation ? Deux exemples, dont ne seront retenues que quelques illustrations, permettront d’en juger.
Les illustrations des Pensées de l’éternité (Paris, Baragnes, 1627), gravées par Michel Lasne, comptent parmi les plus réussies des livres de dévotion de La Serre. Elles attestent l’implication de l’auteur dans l’illustration avant son départ pour Bruxelles. En regard de la page 95, on voit une femme à genoux accompagnée d’un ange qui désigne l’apparition du nom de Dieu entouré d’anges (fig. 11). L’image entretient un rapport diffus avec l’ensemble du chapitre ; si tout ne s’y rapporte pas, elle synthétise les points importants et oblige le lecteur à se référer au texte pour identifier ce qui lui est montré et ainsi à s’impliquer plus directement dans cette narration édifiante. La Serre attire son œil en reprenant les sentences écrites en italiques qui lui sont chères. Comme pourrait le faire l’orante de la gravure, il indique : « La riche maison du Seigneur sera la demeure du juste » [47] ou encore, reprenant les paroles de saint Etienne, « Tu vois les Cieux ouverts » [48]. Cependant, tous les passages en rapport ne sont pas en italiques. Dans la même page, La Serre décrit ce ciel inaccessible :
Il ne t’est pas permis d’entrer dans un lieu si sainct & si sacré ; (…) Contemple la parfaite beauté des Anges, chacun dans sa Hiérarchie, celle des Archanges, celle des Puissances, celle des Vertus, celle des Principautés […]
Et il ajoute : « Preste l’oreille à ceste douce harmonie, dont tous ces Esprits heureux font le concert, chantant sans cesse ce divin cantique » [49]. Il affirme l’irreprésentabilité de « Dieu qui est appelé Feu […] » [50]. De nouveau, l’orante pourrait dire : « La vraie félicité est dans le ciel […] » [51], en écho avec la parole du Prophète : « Je m’ennuye, Seigneur, en l’attente de vous voir dans le séjour de vostre gloire Eternelle » [52]. Ainsi, l’illustration condense le texte du chapitre entier.
[40] La Vierge mourante sur le mont de Calvaire (Paris, 1628), Le Bréviaire des courtisans, Les Douces pensées de la mort, Les Saintes affections de Joseph.
[41] Cependant, le portrait de Tilly a été copié pour l’édition lyonnaise de Candy en 1632 (BnF, cote : D 40777).
[42] Voir V. Meyer, « Les portraits de Puget de La Serre », Nouvelles de l’estampe, mai-juin 2000, n°170, pp. 7-32.
[43] Bibliothèque de l’Université Lille 3 (cote : A 2297).
[44] Lyon, Bibliothèque municipale (cote : 334273).
[45] Paris, Jean Cochart, 1671, et Bruxelles, 1653. Signalons encore Les Merveilles de l’amour divin, « enrichi de Figures », Bruxelles, 1633.
[46] Lyon, Bibliothèque de l’Université catholique (cote : LFCZ 4216 A).
[47] Les Pensées de l’éternité, éd. cit., p. 138.
[48] Ibid., p. 146.
[49] Ibid., p. 148.
[50] Ibid., p. 153.
[51] Ibid., p. 189.
[52] Ibid., p. 173.