Les illustrations des livres de dévotion
de Puget de La Serre et leurs copies
- Véronique Meyer
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Fig. 1. Anonyme, Squelette
royal, 1629
Fig. 3. J. Payne, Squelette
royal, 1639
Fig. 4. E. Moreau, L’avare, 1631
Fig. 6. Anonyme, Tombeaux
d’Alexandre, Crésus et Hélène, 1630
Fig. 7. C. Galle, Cercueil entouré
de Furies, 1630
Les gravures bruxelloises firent toutes, sauf une, l’objet d’une copie : la troisième planche de Galle pour Les Délices de la mort, qui montre le Christ cloué sur un pommier auquel Adam et Eve, mi-humains, mi-squelettes, arrachent un fruit face à saint François en prière, n’a pas été retenue par les Français, peut-être parce qu’elle reprend en partie la seconde illustration du livre, le Christ attaché au même arbre, aux branches duquel pendent des moines, adorés par saint François et d’autres saints nichés dans des corolles de fleurs, qui fit l’objet de plusieurs copies [16]. Le frontispice célèbre la Croix adorée par Madeleine, Ignace de Loyola, saint François et divers moines.
Copie, interprétation et mixage
En général, les copies suivent de près l’original. Font exception les illustrations des Saintes affections de Joseph, éditées à Lyon en 1632 chez Candy [17]. Trois planches sur six reprennent les compositions inventées pour Schoevaerts à Bruxelles : le portrait de La Serre, la vignette du titre et Le Mariage de la Vierge, mais alors que les deux premières sont des copies strictes, la dernière simplifie la composition en supprimant de nombreux personnages. Pour les trois autres, minimisant ainsi les frais, l’éditeur prend des gravures de son fonds ou de celui de quelques confrères [18]. Cependant, les copies furent sans doute jugées nécessaires pour que l’illustration garde un rapport étroit avec le texte.
Rares sont les interprétations libres. On ne peut guère mentionner que quelques gravures de Jérôme David pour les Pensées de l’éternité, exécutées en 1652 pour le Rouennais Ferrand d’après Michel Lasne, à l’exception du portrait de la régente des Pays-Bas. Le livre parisien [19] s’ouvre sur un Ange assis tenant un phylactère, où le titre est inscrit, par une première image de La Mort portant sur son dos les instruments du pouvoir et, face à la dédicace, par le portrait d’Isabelle Claire-Eugénie en prière. Suivent Un Ange désignant le nom divin à la régente, Les Damnés brûlant en enfer et Les derniers moments d’une mourante. Jérôme David modifia avec intelligence le dessin de chaque composition. Il remplaça la régente par une simple orante et modernisa son vêtement. Si ce type de transformation est rare, on le trouve dans le portrait d’Elisabeth de France gravé par Claude Audran pour l’édition lyonnaise de 1633 des Pensées de l’éternité, qui s’inspire de celui d’Anne d’Autriche gravé par Jean Picart pour illustrer La Vierge mourante sur le mont de calvaire, publié à Paris par Courbé en 1628, où seul le visage de la reine a été modifié. L’éditeur proposait ainsi une nouvelle gravure à peu de frais. Les illustrations de Michel Lasne pour Les Pensées de l’éternité furent sans grand effet sur l’édition lyonnaise : Gay (Lyon, 1633) [20] et Huguetan choisirent des modèles dans deux autres ouvrages de La Serre ; si Le Squelette chargé d’attributs du pouvoir vient des Pensées de l’éternité, le Caveau autour duquel s’activent les Furies avec l’inscription « Cy git la Volupté » est issu du Tombeau des délices du monde [21], et le portrait d’Elisabeth de France de La Vierge mourante sur le mont de Calvaire. Quelques planches conçues pour un ouvrage précis ont été réutilisées pour d’autres romans. Ainsi La Vanité de la valeur, de la beauté, de la fortune et des grâces gravée pour les Douces pensées de la mort [22] se retrouve dès 1630 à Lyon et à Paris dans L’Entretien des bons esprits. De même, Le Squelette royal de L’Entretien des bons esprits, gravé par Cornelius Galle en 1629 à Bruxelles pour Vivien et copié pour les éditions parisiennes de Billaine en 1629-1630 (fig. 1) et de Loudet à Rouen en 1630, servit également de frontispice aux Pensées de l’éternité, parues en 1633 à Lyon chez Huguetan (fig. 2 ), et à Londres en 1639, pour The Mirrour which flatters not, où la Mort tient non plus un livre mais un miroir (fig. 3) [23]. Quant aux illustrations du Tombeau des délices du monde gravées par Edme Moreau à Reims en 1631 [24], en dehors de la page de titre, ce sont des copies des planches du Bréviaire des courtisans (fig. 4).
Il arrivait aussi que, parmi les gravures exécutées pour La Serre à Bruxelles, les éditeurs français glissassent une nouvelle pièce, prise chez un confrère ou gravée pour l’occasion. Ainsi, comme page de titre des Douces pensées de la mort (Lyon, 1630), Jean-Aymé Candy mit une vignette montrant une Tête de mort [25]. Cette vignette fut réutilisée en 1642 à Lyon par Nicolas Gay, mais alors que Candy avait ajouté une Madeleine en prière et une Résurrection de Lazare, Gay préféra un Saint Antoine de Padoue à mi-corps gravé par Claude Audran [26]. Ces deux éditions avaient cependant en commun une planche conçue pour les Tombeaux d’Alexandre et d’Hélène. De même, le Christ au sépulcre avec saints François et Jérôme, repris des Douces pensées de la mort, fut copié par NP en 1638 pour l’édition du Bréviaire des courtisans (Paris, Henault [27]).
Réutilisations mixtes et partielles
De livre en livre, les éditeurs réutilisaient aussi certaines planches de leurs fonds, qui, à l’origine, n’avaient rien à voir avec La Serre. Le cas le plus frappant est celui dela suite de La Passion du Christ gravée par NP pour Etienne Dauvel [28]. Cette suite très médiocre comprend au moins douze planches, dont deux ont été utilisées trois fois pour les livres de La Serre : la première pour La Vierge mourante sur le mont de Calvaire (Paris, 1628, Courbé et Sommaville [29]) ; la seconde à Rouen pour Le Bréviaire des courtisans (1630, Jacques Besongne [30]). Enfin, lorsque Guillaume Pellé, Jacques et Cardin Besongne, parent du libraire rouennais, publièrent à Paris en 1634 Les Merveilles de l’amour divin, ils se contentèrent de faire graver une Annonciation, sur laquelle J. Vallet [31] apposa son excudit, puis choisirent eux aussi cinq gravures de la suite de Dauvel [32] illustrant les mêmes sujets que la version bruxelloise de 1634, qu’ils connaissaient certainement.
Cette utilisation de gravures déjà existantes ne se limite pas à la suite de Dauvel. Ainsi, à Rouen en 1634, la veuve de Jacques Besongne utilisa quelques copies maladroites d’après Dürer pour le Bréviaire des courtisans : Le Lavement des mains, tiré de la Petite Passion sur bois de 1509 [33], Le Baiser de Judas, de La Petite Passion sur cuivre [34] ainsi que Les Saintes femmes et saint Jean au Calvaire, à l’excudit de l’éditeur d’estampes parisien Jacques Honervogt.
Iconographie des œuvres religieuses de La Serre
A Paris comme à Bruxelles, rares sont les illustrations qui ne dérivent pas de compositions conçues sous la direction de La Serre et qui ne sont pas en étroite harmonie avec ses écrits. Comme l’auteur revient souvent sur les mêmes thèmes – la Mort, la Croix et la Passion, au cœur des Merveilles de l’amour divin, de La Vierge mourante sur le mont de Calvaire, des Douces pensées de la mort, des Délices de la mort –, l’ensemble présente une vraie homogénéité. La Serre s’adresse avec transports à Dieu et aux pécheurs, au rang desquels il se range. Les illustrations montrent La Prière au jardin des oliviers, La Trahison de Judas, La Cène, Le Christ à la colonne, L’Ecce Homo, Le Christ en croix entre saint Jean et la Vierge, La Déposition ou Le Christ au sépulcre. Il met en garde courtisans, rois et prélats contre les vanités du monde. Dans Les Douces pensées de la mort [35] (fig. 6), il montre la Mort près des tombeaux d’Alexandre, de Crésus et d’Hélène, dans une planche qui fut réutilisée pour L’Entretien des bons esprits. Dans Le Tombeau des délices du monde, le cercueil au milieu des flammes est la proie des Furies (fig. 7) ; flammes et démons saisissent les damnés dans Les Pensées de l’éternité. Sous forme d’un squelette tenant la faux et le sablier, portant un panier chargé des instruments du pouvoir, la Mort ouvre Les Pensées de l’éternité [36] ; sous celle d’un squelette couronné, envahi par les vers, elle présente au lecteur le même ouvrage (Lyon, 1633) [37]. Squelette encore, dévoilée par le temps, elle lui renvoie son image dans Le Miroir qui ne flatte point (fig. 8) [38]. Squelette toujours, triomphant sur son char, sonnant de la trompette et brandissant son fouet, elle annonce son pouvoir dans Les Douces pensées de la mort [39].
[16] Ont également été systématiquement copiées les gravures de Cornelius Galle montrant La Madeleine mourante, couchée sur une natte, Sainte Agnès au bûcher, Joseph mourant entouré du Christ et de la Vierge.
[17] Lyon, Bibliothèque municipale (cote : 334274).
[18] La Mort de Joseph et La Dormition de la Vierge, thèmes choisis par La Serre dans l’édition originale, furent remplacés par une Fuite en Egypte.
[19] Baragnes, 1627, 5 planches (Bourg-en-Bresse, Médiathèque E. & R. Vailland, cote : FA 101222 ; les illustrations manquent dans l’exemplaire de la BnF).
[20] Avignon, Bibliothèque municipale (cote : 8° 23210).
[21] Voir fig. 7 .
[22] Bruxelles, 1627 ; Paris, N.J. Coste.
[23] La gravure signée I.P. scul. est attribuée à John Payne. L’ouvrage est édité par Elizabeth Purslowe pour R. Thrale.
[24] Châlons-en-Champagne, Bibliothèque Georges Pompidou (cote : AF 21816).
[25] Metz, Bibliothèque municipale (cote : P 710).
[26] La Rochelle, Bibliothèque municipale (cote : 7962 C).
[27] Lyon, Bibliothèque de l’Université catholique (cote : LFCZ 629 AAP).
[28] Certaines gravures sont signées « NP » à gauche (Nicolas Picart) et « E. Dauuel ex. ». Chaque scène se présente dans une large couronne de fleurs associée aux signes du zodiaque avec, dans les écoinçons, des scènes annexes ; au bas, des vers dans une tablette oblongue. La Serre aurait-il été consulté ? Mort en 1638, Etienne Dauvel était imprimeur en taille-douce et éditeur d’estampes. Voir M. Préaud et al., Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien régime, Paris, Promodis-Ed. du Cercle de la librairie, 1987.
[29] Huit planches : Un Ostensoir (fig. 5), Jésus au mont des Oliviers, L’Arrestation du Christ, Jésus à la colonne, Ecce Homo, Portement de croix, Madeleine au pied de la croix, La déposition de croix (Bibliothèque d’Amiens Métropole, cote : Th 5454 A).
[30] L’Arrestation du Christ (chap. II) et Le Portement de croix (chap. V). Valognes, Bibliothèque municipale. Julien de Laillier, cote : C 6551.
[31] La gravure est signée dans la composition à droite, « J. Valer ex. ». Il s’agit sans doute de Jean Vallet imprimeur en taille-douce et éditeur d’estampes actif au début du XVIIe siècle dont l’inventaire après décès fut dressé le 9 janvier 1637 (voir M. Préaud et al., op. cit.).
[32] A savoir L’Arrestation du Christ déjà utilisée, Le Christ au jardin des Oliviers, Le Christ devant Pilate, l’Ecce Homo, et La Mise au tombeau.
[33] La composition est reproduite dans le même sens, sans le monogramme de Dürer.
[34] Le monogramme de Dürer et la date ont été recopiés : 1508 AD.
[35] Par exemple dans l’édition lyonnaise de Jean-Aymé Candy en 1630 (Metz, Médiathèque Pontiffroy, cote : P 710).
[36] Gravure de Lasne, Paris, 1627. Voir fig. 13 .
[37] Voir fig. 2 .
[38] Cette gravure de Cornelius Galle n’a pas été reprise dans les éditions françaises.
[39] Voir par exemple fig. 14 .