Jacques Prévert et les images fixes
- Carole Aurouet
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Fig. 1. J. Prévert, Paroles, 1946

Jacques Prévert est un homme d’images. Il est notamment le scénariste de L’affaire est dans le sac (Pierre Prévert, 1932), du Crime de monsieur Lange (Jean Renoir, 1935), de Drôle de drame (Marcel Carné, 1937), du Quai des brumes (Marcel Carné, 1938), des Amants de Vérone (André Cayatte, 1948), de Notre-Dame de Paris (Jean Delannoy, 1956), du Roi et l’Oiseau (Paul Grimault, 1980 – posthume), et bien sûr des Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945). Prévert est aussi l’auteur d’une œuvre poétique qui fait la part belle à un type particulier d’image, la métaphore : Paroles (1946), Histoires (1946), Spectacle (1951), La Pluie et le Beau Temps (1955), Choses et autres (1972), etc.

Cependant, Prévert n’a pas entretenu une relation créatrice uniquement avec l’image mouvante du cinéma et l’image verbale de la poésie. C’est un pan certes moins connu de sa création, mais Prévert a créé des livres, mêlant texte et image, avec les photographes, les peintres et les illustrateurs. Il a aussi fabriqué de nombreux collages, essentiellement dans le dernier tiers de son existence. Il a également été l’égérie masculine des photographes et des peintres, qui ont aimé lui tirer le portrait. Enfin, Prévert a confectionné des éphémérides singulières.

 

Jacques Prévert et les photographes, peintres et dessinateurs

 

L’amitié est très importante pour Prévert. Même s’il a besoin de vivre des moments d’isolement, ce n’est pas un homme solitaire. C’est pourquoi il s’entoure d’amis, qui sont souvent des artistes avec lesquels il crée. En un battement de cils, Prévert a la capacité de détecter chez un individu une communauté d’idées, de combats et de rêves. Une sorte d’instinct qui ne le trompe guère.

Son entourage amical compte un nombre important de photographes. A la fin des années 1920, à Montparnasse, Prévert se lie d’amitié avec les photographes du mouvement surréaliste. Précisons qu’il y participe de 1924 à 1930, année à laquelle il s’en exclut en signant le pamphlet contre André Breton : « Mort d’un monsieur » dans Un Cadavre. C’est durant cette période que Prévert fait la connaissance de Jacques-André Boiffard (1902-1961, un des photographes les plus importants du mouvement), Brassaï (1899-1984, dont la famille émigre de Hongrie alors qu’il a trois ans), Eli Lotar (1905-1969, qui quitte Bucarest pour Paris en 1924), Man Ray (1890-1976, qui quitte New-York et s’installe à Paris en 1921) et de Dora Maar (1907-1997, qui vit quelques années à Paris à partir de 1926 ; elle deviendra la muse et l’amante de Picasso, statut qui a malencontreusement contribué à éclipser sa propre œuvre artistique).

Dans l’immédiate après-guerre germanopratine, Prévert fait la connaissance d’Edouard Boubat (1923-1999), Robert Doisneau (1912-1994), Gilles Ehrmann (1928-2005), Izis (1911-1980, qui émigre de Lituanie en 1930), Willy Ronis (1910-2009), Ylla (1911-1955, femme photographe d’origine autrichienne connue pour ses clichés animaliers) et d’André Villers (1930-2016).

Vers le début des années 1930, Prévert commence à écrire des textes poétiques, qu’il offre à ses amis ou qu’il conserve. Certains sont édités dans des revues, assez peu : c’est le cas de « Souvenirs de famille ou l’ange garde-chiourme », paru le 10 décembre 1930 dans Bifur, et de « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France », paru en 1931 dans Commerce. L’auteur ne veut pas être publié. Il refuse tout projet de recueil éditorial.

Puis en 1945, il rencontre Robert Clavel, un ami décorateur de cinéma. Ce dernier lui explique qu’un éditeur, René Bertelé, voudrait publier ses textes. Contre toute attente, Prévert donne son accord. Il confiera ne pas savoir pourquoi il a soudain accepté.

En 1946 sort le recueil Paroles. C’est un succès fulgurant. Cinq mille exemplaires sont vendus en une semaine. A ce jour, c’est le recueil de poèmes français du XXe siècle le plus traduit et le plus vendu dans le monde.

Ce livre est détonnant tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, il aborde les sujets de tous les jours ; il est antimilitariste et anticlérical ; il s’attaque à la presse, accusée de connivence avec le pouvoir. Sur la forme, il rompt avec les règles de versification classique ; il rend hommage au langage populaire. Avec Paroles, Prévert révolutionne la poésie. Il fait descendre la culture dans la rue et la met à la portée de tous. C’était à prévoir : ce n’est pas du goût de tout le monde ; certains intellectuels notamment ne voient pas d’un bon œil cette démocratisation poétique et culturelle.

Au niveau visuel, le livre aussi est atypique. Brassaï est sollicité pour la couverture. Une de ses photographies d’un graffiti mural est utilisée. Dessus figurent deux inscriptions manuscrites de couleur rouge : Jacques Prévert et Paroles (fig. 1).

La collaboration artistique de Prévert avec les photographes va se poursuivre par des ouvrages mêlant texte et photographie. Le livre devient un lieu de rencontre qui permet à Prévert de poursuivre son entreprise de tissage de liens entre les arts.

Prévert et Ylla créent Le Petit Lion en 1947, puis Des bêtes… en 1950. Les deux artistes ont un intérêt commun pour les animaux. En mettant en rapport leurs travaux respectifs, ils montrent que les animaux se conduisent de meilleure façon que les hommes. Dans Le Petit Lion, l’enfermement des lions dans les cages est dénoncé par le texte et l’image qui sont en adéquation. Dans Des bêtes…, les artistes procèdent différemment. Ils proposent aux lecteurs des portraits d’animaux, à qui ils donnent la parole afin qu’ils exposent leur point de vue.

Prévert et Izis sont très complices. Ils réalisent notamment : Le Grand Bal du printemps en 1951, et Le Cirque d’Izis en 1965. Dans Le Grand Bal du printemps, les textes et les images sont en parfaite symbiose. Dans Le Cirque d’Izis, figurent aussi des peintures de Marc Chagall. Les trois créateurs ont toujours été passionnés par les émotions que suscitent les spectacles de cirque. Ils leur rendent donc hommage à trois voix. Cette participation de Chagall au Cirque d’Izis permet d’amorcer la transition vers le deuxième cercle amical de Prévert : les peintres. 

 

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