Jean-Louis Jeannelle,
Films sans images. Une histoire des scénarios non réalisés
de 
La Condition humaine,
Paris, Seuil, « Poétique », 2015, 752 p.,
ISBN : 978-2-02119-088-5

 

      Les projets de films restés irréalisés sont-ils voués à ne subsister qu’à titre d’anecdotes émaillant la biographie des plus grands réalisateurs ? On s’est peu intéressé, sinon par attachement fétichiste pour tel ou tel auteur, aux œuvres cinématographiques qui n’ont existé que sous forme de scénarios, certains complets. Car avant d’être tourné, monté et diffusé, un film est écrit et existe même sous différentes versions rédigées dans le cas d’adaptations inabouties, dont les droits sont souvent renégociés.
      De ce point de vue, La Condition humaine est un cas d’« inadaptation » exceptionnel. Non seulement en raison du texte concerné (l’un de ceux dont on a le plus souvent loué les qualités cinématographiques), mais également par l’ampleur du temps écoulé (de 1933 à nos jours, soit plus de quatre-vingt ans), et surtout par le nombre de tentatives accumulées et le prestige des scénaristes et réalisateurs engagés. Malraux lui-même immédiatement après la publication de son roman en collaboration avec Eisenstein en une folle tentative pour satisfaire l’orthodoxie stalinienne. James Agee, ensuite, sans autre but que le plaisir d’adapter la célèbre scène finale du roman. Han Suyin, dans un troisième temps, pour un film que Fred Zinnemann aurait dû tourner pour le compte de la MGM mais que le studio annula au tout dernier moment. Laurence Hauben, enfin, qui adopta un point de vue résolument maoïste dans un scénario dont Costa-Gavras devait faire le premier film tourné en Chine, après la Révolution culturelle et la disparition de son leader. Encore ne s’agit-il là que des scénarios aujourd’hui accessibles, puisque cette histoire s’est poursuivi avec Michaël Cimino et rebondit aujourd’hui avec Lou Ye.
      L’adaptation ne se réduit plus, ici, à la confrontation quelque peu lassante entre un texte source et le film qui en est tiré, pas plus que l’on ne se demandera lequel de ces projets fut le plus fidèle au roman de Malraux. Loin d’être les signes d’une malédiction qui pèserait sur La Condition humaine, les inadaptations dont il sera question esquissent une étonnante histoire, jusqu’ici cachée : celle de ses prolongements pour le grand écran, tous situés à l’intermédiaire exact de la littérature et du cinéma. Là où les spécialistes voient d’ordinaire un scénario comme un document dépourvu d’autonomie et de légitimité, ces textes témoignent à l’inverse de l’incroyable quotient d’« adaptabilité »que recèle un roman comme La condition humaine, c’est-à-dire son aptitude à engendrer sans cesse de nouveaux possibles scénaristiques.
      Située à la croisée de l’histoire littéraire et cinématographique, de la poétique des œuvres et de la génétique, cette étude a pour ambition de montrer que des scénarios « désœuvrés », lorsqu’ils sont envisagés comme un vaste réseau, peuvent retrouver la valeur potentielle qui était la leur à un stade ou à un autre d’un processus d’adaptation resté inabouti.

 

Présentation sur le site des éditions du Seuil

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