La relation de voyage et la carte
- Hélène Richard
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       Cette image, comme les autres, n’est accompagnée d’aucun commentaire, mais Le Large renvoie au récit qui l’a inspirée [10].

 

       En 1629 un vaisseau hollandais nommé Batavia et commandé par le Capitaine Plassart ayant été séparé de la flotte des Indes par la tempête vint faire naufrage sur les côtes de cette terre dont il fit la première découverte. Plessar [sic] ayant fait un petit bateau couvert passa à l’île de Java situé à 200 lieues au N. de cet endroit. La Cie hollandaise qui est dans cette île lui ayant donné 1 vaisseau, il revint trouver les gens de son équipage qu’il avait laissé dans l’endroit où le vaisseau avait échoué.
       Ils virent dans ce pays des hommes nus qui portaient de longs bâtons et il y en avait une partie qui marchait à quatre pattes comme des bêtes. Ces sauvages se laissèrent approcher des Hollandais jusqu’à la portée du fusil, après cela, ceux qui marchaient à quatre pattes se redressèrent et ils s’enfuirent tous. Quelques temps après, en 1644, d’autres Hollandais ayant fait la découverte de plusieurs côtes de cette terre la nommèrent Nouvelle-Hollande. Guillaume Dampier [11], anglais, en faisant le tour de la terre, aborda dans la Nouvelle-Hollande en 1688. Voici un extrait de ce qu’il en dit : ces peuples sont tous des plus sauvages et mènent une vie très misérable, ils sont grands, droits et menus, de couleur brune, fort laids de visage, n’ont point de barbe et ont des cheveux crépus comme les nègres. Ils portent pour tout habillement une ceinture d’écorce d’arbre. Ils ne font point de cabanes, mais couchent par terre comme des brutes et sans se couvrir. Il n’y a point d’arbres fruitiers dans leur pays, les autres arbres même y sont assez rares et ont le tronc fort menu.

 

La description continue, signalant la rareté des animaux, à l’exception des merles ou de quelques poissons, et le fait que les habitants n’utilisent pas de canots. Les relations de voyage font état de la pauvreté des ressources naturelles du pays en denrées prisées des Européens et l’iconographie du globe le traduit.
       Ces quelques exemples montrent la manière dont le globe terrestre de Coronelli intègre les textes qui ont permis de le construire, qu’il s’agisse de son tracé ou de son iconographie. Si Le Large écrit un discours très complet dans ses « explications », Coronelli lui-même avait déjà privilégié le caractère discursif de son œuvre, encyclopédie de toutes les merveilles du monde rapportées par les voyageurs de tous les temps. Les globes de Coronelli constituent l’apogée de la cartographie baroque. L’enjeu de leur qualité esthétique est évident. Il ne s’agit pas de cartes destinées à un usage immédiat, même si l’on veut souvent y voir, outre la glorification du plus grand souverain de la Terre, une incitation indirecte de Colbert à Louis XIV pour qu’il s’engage dans l’expansion économique sur cette terre si superbement ouverte à son pouvoir.

       A l’inverse, la paire de globes réalisée par Didier Robert de Vaugondy [12] en 1751 est explicitement destinée « à l’usage des Marins ». L’auteur, qui avait commencé sa carrière de cartographe avec son père, avait publié un petit globe en 1745, accompagné d’un ouvrage intitulé Abrégé des différens systèmes du monde, de la sphère et des usages des globes [13]. Ayant présenté un globe au Roi en 1750, Robert de Vaugondy obtient le titre de Géographe ordinaire du Roi et la commande d’une paire de globes destinée à l’usage des vaisseaux. Cette commande s’inscrit dans l’ensemble des mesures prises par le gouvernement français pour améliorer la rapidité et la sécurité de la navigation. Ces deux globes seront gravés l’année suivante et sont d’une taille (45,5 cm de diamètre) compatible avec la nécessité de les embarquer dans des navires où la place est comptée. Ces globes étant des instruments scientifiques de première valeur, ils sont vérifiés par l’Académie avant d’être gravés. Le globe céleste est destiné à faciliter les observations astronomiques que doivent réaliser astronomes et marins pour fixer la position des terres. La seconde moitié du XVIIIe siècle, par la fabrication d’instruments scientifiques de qualité et la publication de tables astronomiques, va réellement permettre le développement de la navigation scientifique et le globe céleste, aidant à l’identification des astres, devait y participer.
       Le globe terrestre présente l’état des connaissances au moment de sa réalisation. Mais il ne se contente pas d’indiquer un trait de côtes certain, il fait aussi référence aux voyages qui sont à l’origine de cette certitude, tel le voyage de circumnavigation de Jacob Lemaire en 1616, celui d’Anson en 1740-1745, voyages dont les relations, publiées aussitôt, ont été largement diffusées. Ils sont représentés par une ligne qui suit leur route tout autour du globe, ligne accompagnée de la mention du voyage concerné et de sa date. Le voyage de Bouvet de Lozier aux Terres Australes, qui en 1738-1739 découvrit le Cap de Circoncision, y apparaît aussi avec la course de chacun des bâtiments (l’Aigle et la Marie) et la date. Ce voyage, dont la relation fut publiée dès 1740, eut un grand retentissement et relança, en France, le débat sur les Terres Australes, repris par Philippe Buache et le Président de Brosses en particulier [14].

 

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[10] BnF Département des manuscrits, Ms Français 13 666 Page 317, 160 degrés de longitude [est], 30 degrés de latitude méridionale.
[11] Ce récit est ajouté par Le Large pour donner plus de véracité à la scène dessinée par Coronelli.
[12] Sur Didier Robert de Vaugondy (1723-1786), voir l’ouvrage de Mary Sponberg Pedley, Bel et utile, the work of the Robert de Vaugondy Family of Mapmakers.Tring (GB), Map Collector Publications, 1992.
[13] Monique Pelletier, Cartographie de la France et du monde de la Renaissance au Siècle des lumières, Paris, BNF-Bibliothèque, pp. 38-42.
[14] Charles de Brosses, Histoire des navigations aux Terres australes, Paris, Durand, 1756, 2 vol. Les cartes qui accompagnent le volume ont été réalisées par Didier Robert de Vaugondy.