Les Dessins marginaux du manuscrit
Douce 360 (Le Roman de Renart)
de la Bibliothèque Bodléienne

- Kenneth Varty
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Fig. 11. "Le Jugement de Renart",
Douce 360, folio 1r°




Fig. 12. "Le Duel judiciaire",
Douce 360, folio 36 v°




Fig. 13. Renart et Grimbert devant Noble,
manuscrit I, fol. 69v°


Fig. 14. Renart pélerin

       Parmi les animaux qui assistent à cette assemblée, le poète mentionne en plus de Noble, Renart et Grimbert, Ysengrin le loup, Belin le mouton, Tibert le chat et Roonel le chien. On se demande donc s’ils se trouvent parmi les quadrupèdes ici dessinés. Tiécelin le corbeau et Couard le lièvre sont les derniers courtisans distingués par le poète, et sont aisément reconnaissables dans le dessin marginal à droite, à l’arrière du groupe.
       Ce dessin marginal est très semblable à deux autres enluminures du manuscrit D. La première, au folio 1r°, ouvre « Le Jugement de Renart » (fig. 11). Elle représente, à gauche, le lion assis sur un trône ; Noble regarde ses barons et dresse sa patte avant dans leur direction. Couart le lièvre prend appui sur la patte arrière du lion ; Chantecler se tient à l’abri dans un arbre. Derrière eux, on identifie parfaitement, de bas en haut, le renard, suivi du bélier, le loup, le cerf et l’âne. Au folio 36v°, introduisant « Le Duel judiciaire », une deuxième miniature représente Noble assis sur le trône (fig. 12). Sa position est parfaitement identique à celle du folio 1r°. Le nombre des barons est cette fois moins important : de bas en haut, on reconnaît le goupil, l’ours, le loup, le cerf et l’âne.
       L’assemblée de Noble est très fréquemment représentée. Elle figure par exemple dans les manuscrits C (1r°), N (1r°), G (55r°), E (6r°), I (1r°, 1v° et 3r°). Le plus souvent, le lion couronné est assis sur un trône et regarde ses barons. Dans le manuscrit I, Noble est parfois de face (fig. 13) [11], comme dans la marge de D. L’illustrateur tardif du manuscrit Douce s’inscrit donc dans une tradition très prégnante. Mais, son lion est plus fortement animalisé que sur les autres miniatures : il se tient à quatre pattes au lieu d’âtre assis sur un trône et ne porte pas de couronne.

       Le dernier dessin de cette série se situe au pied de la colonne 2 du folio 10 (fig. 14). Renart chevauche un cheval très élégant. Le destrier paraît, comme le suggère le texte, lancé au galop : Le cheval fiert des esperon ; / F(f)uiant s’en va les grans trotons (fol.10, col.2, v. 15-16). Sur l’épaule gauche, Renart tient un bourdon ; il porte aussi une gourde en bandoulière. Renart qui a revêtu les principaux attributs du pèlerin, quitte la Cour de Noble pour rejoindre la Terre Sainte  :

 

Ez vous Renart li pelerin,
L’escherpe au col, bourdon frenin.
(fol.10 r°, col.1, v. 17-18) [12]

 

L’illustrateur interrompt ici son travail : Renart quitte le royaume de Noble pour Saint-Jacques de Compostelle. Mais ce départ est une ruse. Le goupil, faux pèlerin, s’enfuit. La branche du « Jugement de Renart » n’est pas encore tout à fait terminée. Du haut d’un tertre, Renart insulte Noble et ses barons avant de saisir Couart le lièvre qui s’était caché dans une haie. Les barons se lancent à sa poursuite et Tardis le limaçon parvient à le rattraper. L’interruption des marges ne coïncide pas avec la fin de l’aventure.

       A la fin de ce parcours, on se demande si l’artiste connaissait les miniatures qui ornent d’autres manuscrits du Roman de Renart, ou même les gravures sur bois des incunables de la fin du quinzième ou du seizième siècle. Si tel est le cas, il est étonnant qu’il n’illustre pas l’office des morts et la cérémonie funéraire prononcée en l’honneur de la poule Coupée, ni l’ours en train d’être battu, ni le moment précis où le chat s’attaque aux organes génitaux du prêtre, ni celui où Renart est tenté quand il passe à côté de la basse-cour d’un couvent, ni Renart sur l’échafaud et sur le point d’être pendu. La seule illustration qui ressemble vaguement à la première miniature du manuscrit Douce 360 et à quelques miniatures présentes dans d’autres manuscrits est celle qui montre le lion trônant devant l’assemblée des animaux-barons. Il est aussi possible que le dessin de la bière portée par deux animaux ait été inspiré par les illustrations d’autres processions funéraires - par exemple celle du renard [13].
       Il est plus certain que cet artiste était tout à fait indépendant : il s’est surtout inspiré du le texte dont il interprète quelques détails littéralement, ou avec une valeur métaphorique. Je dirais que ces dessins ont été faits par quelqu’un qui n’était pas très avancé dans son art, peut-être le fils ou la fille de celui qui possédait le manuscrit, ou même par celui à qui il appartenait. Mais il est certain que cette personne connaissait très bien le texte renardien, et qu’il était capable de le lire.

 

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[11] L’illustration 12 représente l’arrivée de Grimbert et de Renart à la Cour (fol. 69v°).
[12] « Voila donc Renart devenu pèlerin, avec la besace au cou et le bâton de frêne », J. Dufournet, op. cit., p. 115.
[13] Voir K. Varty, Reynard, Renart, Reinaert., op. cit., p.141, ill. 119.