Bien que le texte ne nomme pas les deux animaux qui portent la bière, quelques vers plus haut, dans le récit, Noble le lion demande à l’ours et au taureau d’accomplir ces taches spécifiques. Les trois derniers vers de la colonne de gauche et les deux premiers de la colonne de droite indiquent :
Brun li ours, prenez vostre estole,
Si conmandez l’ame del corps !
Et vous, sire Bruians li tors,
Lassus amont celle cousture
Me faites une sepouture !
« Brun l’ours, prenez votre étole et priez pour le repos de cette âme ! Et vous, seigneur Bruyant le taureau, dans ce champ là-bas, creusez-moi donc une sépulture ! » [3].
Encore une fois l’artiste semble suivre, en le simplifiant un peu, le texte écrit.
La série continue au pied de la colonne 1 du folio 5 (fig. 3) : Renart regarde Brun coincé dans le tronc fendu d’un arbre sévèrement élagué et dont les racines restent plongées dans le sol. L’ours, qui se tient debout sur ses deux pattes de derrière, est retenu prisonnier par le museau et les deux pattes de devant :
La teste Brun et le costé
Furent dedens le chesne enclos.
Sur le dessin, une grande ruche sépare les deux animaux. Plus tôt, au folio 4v°, Renart a persuadé Brun qu’il y avait du miel dans ce tronc à moitié fendu : La dedens gist le chastouvre (fol. 4v°, col. 2, v. 29) [4]. Brun imagine donc que les abeilles ont fait leur nid à l’intérieur du tronc ; l’artiste semble ainsi dessiner cette illusion, comme un mirage provoqué par la gourmandise. Il résume en un seul dessin deux moments distincts et mélange le désir de Brun pour le miel et la réalité du piège : il suit alors de très près les vers 32 et 33 au pied de la colonne 2 du folio 4v° :
Et Brun li ours mist le musel
Ou chesne et les ij piez devant. [5]
Un détail est particulièrement intéressant : le tronc de l’arbre s’élève à la verticale du sol. A ma connaissance, dans toutes les autres représentations visuelles de cette scène, le tronc a été coupé : il est couché par terre alors que le poète suggère que le tronc reste debout. En effet, quand le bûcheron arrive sur la scène, attiré par les cris de l’ours, le texte dit :
Quant li vilains vit Brun l’ors pendre
Au chaisne que il devoit fendre.. (fol. 5v°, col. 1, v. 29-30).
On ne peut pendre à un arbre coupé et couché par terre. A nouveau, l’artiste semble donc avoir interprété littéralement le texte lu.
Au pied de la colonne 1 du folio 6 (fig. 4), Tibert le chat se tient à l’entrée du repaire de Renart. Au moment où il arrive devant la porte de Maupertuis, Tibert a tellement peur qu’il n’ose entrer, et préfère lire à haute voix, au seuil de la porte, la sommation du roi. Ce qui rend fascinant et unique cette image, c’est la représentation des créneaux qui dominent le tertre dans lequel Renart a creusé l’entrée de son refuge, Maupertuis. Un peu plus tôt dans l’histoire, au folio 5v°, le poète nous rappelle que la tanière de Renart est, par référence à l’univers épique, son château :
A Malpertuis sa forterece (v. 10, col. 1, fol. 5v°).
L’artiste, pour suivre au plus près le texte, représente à la fois littéralement (le terrier creusé dans la terre) et métaphoriquement (les créneaux de la forteresse) la résidence du goupil. Cette double représentation fonde une hésitation entre anthropomorphisme et zoomorphisme, si présente ailleurs dans le Roman de Renart.
Au pied du folio 6v°, le dessin marginal (fig. 5) représente un bâtiment qui doit être la grange du prêtre où la mésaventure de Tibert a lieu : Renart a en effet attiré le chat chez un prêtre en lui promettant des souris et des rats alors qu’il n’y a que des pièges pour prendre les renards et les chats. Le toit de ce bâtiment, qui ressemble plutôt à une maison qu’à une grange, est carrelé. Mais bien que l’histoire parle d’une grange, on trouve dans le texte, tout près de ce dessin, le mot « maison » pour décrire ce bâtiment (fol. 6v°, col. 1, v. 28 : Ainz qu’il partist de la maison). Les murs ont été enlevés, et ainsi semblent transparents afin que l’on puisse voir ce qui se passe à l’intérieur. A gauche, Tibert mi-dedans mi-dehors se trouve sans doute pris dans le piège du prêtre. A l’intérieur du bâtiment, on distingue avec difficulté deux personnes, peut-être le prêtre lui-même et sa concubine qui s’attaquent au chat. Ce dessin est le plus fané de toutes les marges de cette série mais il est presque certain qu’il illustre l’action racontée dans ce folio [6].