Poétiques Art Nouveau : formes et forces

 

La troisième partie se concentre sur les poétiques de l’Art Nouveau, entendu ici comme schème importé en littérature par des écrivains soucieux de renouveler les formes de la poésie. Vers libre et ligne libre de l’Art Nouveau s’apparentent sous l’égide d’un paradigme graphique qui convertit en tracé les phénomènes les plus subtils et infinitésimaux. Cet apparentement du vers libre et de l’arabesque, favorisé par les expériences de l’éditeur belge Edmond Deman, s’inscrit dans ce que Laurent Jenny analyse comme le passage d’un régime expressif de la littérature, fondé sur la remontée progressive d’une intériorité et le modèle musical, à un modèle présentatif et spatialisant qui conçoit l’œuvre d’art comme inscription d’une force sur une surface qui en retient la trace. Le livre Art Nouveau apparaît donc comme l’espace privilégié de ces nouvelles interactions entre lisible et visible, au-delà du paradigme classique de l’illustration.

Les deux derniers chapitres sont consacrés aux écrivains canoniques qui se tiennent aux deux termes chronologiques du corpus, et qui projettent peut-être avec le plus d’acuité l’Art Nouveau dans la modernité littéraire. Après avoir identifié chez Mallarmé un « tournant décoratif » qui coïncide avec la fin de la crise de Tournon et l’élaboration d’une pensée de la disparition élocutoire du poète, le chapitre s’attache à montrer plus spécifiquement en quoi certains poèmes mallarméens peuvent être qualifiés de textes « dynamographiques », selon l’expression de Henry van de Velde théorisant l’ornement moderne. L’expérimentation du Coup de dés peut dès lors être relue dans la perspective des innovations du livre Art Nouveau ou des audaces de la reliure lorraine.

Le chapitre consacré à Proust tente d’abord de montrer que le verre Art Nouveau et l’admiration du jeune écrivain pour Gallé informent l’écriture proustienne du souvenir, morceau de temps subitement cristallisé comme la bulle d’air ou la trace métallique que Gallé s’ingénie à piéger dans ses verreries. La ligne Art Nouveau se faufile également dans l’œuvre proustienne, et semble hériter des deux versants de l’imaginaire identifié dans la deuxième partie. Si elle étire merveilleusement le temps et les corps en devenir des jeunes filles en fleurs, dans une délicieuse hésitation entre nature et œuvre d’art, elle suscite bien des confusions et des méprises, lorsqu’elle mêle lisible et visible dans un débordement aux funestes prémonitions.

 

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