- Benoît Glaude, A propos de l’ouvrage : Henri Garric (dir.), La Destruction des images |
Le volume intitulé La Destruction des images en bande dessinée découle d’un colloque éponyme [1], organisé en 2016 à l’Université de Dijon, faisant suite à un autre, sur L’Engendrement des images en bande dessinée, qui s’était tenu en 2011 à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Le premier colloque avait donné lieu à un ouvrage collectif remarqué, publié dans la collection « Iconotextes » des Presses universitaires François-Rabelais [2]. Le deuxième livre paraît au même endroit, bénéficiant lui aussi d’une mise en page soignée, agrémentée d’une riche iconographie en couleurs, particulièrement appropriée à son objet d’étude iconologique. Le maître d’œuvre des deux entreprises collectives, Henri Garric, professeur de littératures comparées à l’Université de Bourgogne, annonce un projet complémentaire sur La Mélancolie des images, dans la conclusion du livre qui nous occupe(p. 292).
Ces actes reprennent quinze des communications programmées lors du colloque de 2016. Ces quinze chapitres sont dus à des auteurs, français pour la plupart, mais comptant aussi deux Belges et une Italienne, qui viennent soit des études littéraires, soit des études de bande dessinée. Parmi les spécialistes du neuvième art se trouvent deux experts reconnus (Thierry Groensteen et Benoît Peeters) et de nombreux jeunes universitaires (Camille Baurin, Benoît Crucifix, Anne Grand d’Esnon, Irène Le Roy Ladurie, Isabelle Licari-Guillaume, Emmanuelle Rougé et Siegfried Würtz), pour la plupart membres de l’association française de chercheurs en bande dessinée La Brèche. Du côté des littéraires, on retrouve des chercheurs confirmés issus essentiellement du domaine des littératures comparées : Elisa Bricco, Björn-Olav Dozo, Henri Garric, Aurélie Huz, Irène Langlet, Hélène Martinelli, Denis Mellier et Clothilde Thouret. Dans la mesure où plusieurs des doctorants et postdoctorants de La Brèche sont également inscrits en lettres, on comprend que cet ouvrage collectif n’abordera la destruction des images ni dans la perspective de l’histoire de l’art, ni dans celle de l’histoire des religions. Dans ces deux champs de recherche, l’histoire de l’iconoclasme a été abondamment traitée [3], elle est revenue sur le devant de la scène avec l’iconologie, discipline phare des études visuelles découlant du tournant pictural/iconique des années 1990. Pourtant, jusqu’ici, les travaux d’histoire et d’histoire de l’art consacrés à l’iconoclasme ne se sont pas étendus au cas de la bande dessinée.
En suivant une autre méthodologie, avec une grande cohérence, La Destruction des images en bande dessinée évite l’éclatement des perspectives inhérent aux actes de colloque. Cette recherche collective vise à situer la destruction iconique au cœur du média artistique, qui serait donc iconoclaste, dans la double mesure où le fonctionnement même de la bande dessinée – cadrage des vignettes, ellipses intericoniques, pratique constante du redessin, etc. – implique une perte iconique, et où la destruction des images se trouve souvent thématisée dans les œuvres. Toutefois, il paraît excessif de considérer cet iconoclasme comme un trait propre à la bande dessinée, d’autant plus que, à travers l’histoire de sa réception culturelle, c’est plutôt elle qui l’a subi. Comme le signalent l’introduction et la conclusion d’H. Garric, les études de cas menées tout au long de l’ouvrage montrent finalement que la destruction ne peut pas être envisagée indépendamment de l’engendrement iconique, « suivant une dialectique qui reste fondamentalement optimiste » (p. 291), c’est-à-dire comme une étape vers une nouvelle création. Par conséquent, la présente entreprise doit se lire comme un prolongement de la réflexion sur L’Engendrement des images en bande dessinée menée dans le volume précédent, grâce notamment au retour de plusieurs contributeurs : C. Baurin, H. Garric, Th. Groensteen, D. Mellier et B. Peeters.
Tous les chapitres proposent des microlectures d’œuvres, fondant leur méthodologie sur l’examen d’études de cas. Le corpus couvert est relativement hétérogène, même s’il exclut le manga et s’il ne privilégie pas la bande dessinée mainstream, en dehors de L’Ile noire d’Hergé et de quelques comics anglo-américains (Batman, Enigma et Shade). La majorité du corpus est composée d’« œuvres d’auteurs » postérieures à 1980, provenant de la bande dessinée pour adultes (Edika, Enki Bilal, Guido Crepax), du roman graphique (Marc-Antoine Mathieu, Nawel Louerrad, Maximilien Le Roy, Stéphane Levallois, Pietro Scarnera, Efix, Nicolas De Crécy, Guy Delisle) ou du graphic novel (Craig Thompson, Alison Bechdel, Charles Burns, David Mazzucchelli), enfin de la bande dessinée alternative (Jochen Gerner et Ilan Manouach). L’ouvrage collectif s’intéresse donc à des productions françaises, italiennes et anglo-américaines qui, pour l’essentiel, sont postérieures à une révolution esthétique « iconoclaste » qu’Henri Garric situe, dans l’histoire du neuvième art, à la fin des années 1960 (p. 12). Il reprend à Jean-Charles Andrieu de Levis la mise en évidence d’une ligne « pas claire » qui, à l’époque, se serait mise à concurrencer la « ligne claire » hergéenne, en « romp[a]nt avec une esthétique de la lisibilité pour glisser vers une visualité ».
L’ouvrage se structure en trois parties intitulées, dans l’ordre, « Thématiques de la destruction », « Processus de la destruction » et « Editions de la destruction ». Si les contributions envisagent l’anéantissement des images en bande dessinée en privilégiant l’un de ces trois angles d’approche, la plupart des chapitres ne se limitent pas à un seul d’entre eux. Le premier angle, thématique, porte l’attention sur des motifs plastiques détériorés ou sur des univers fictionnels en déliquescence. Le deuxième angle, poétique, permet d’envisager la destruction comme un procédé narratif, allant jusqu’à l’autodestruction métaleptique du système de la bande dessinée. Le troisième angle, éditorial, met en évidence les gestes iconoclastes dans les processus de réédition et de détournement de la bande dessinée.