Faire image : architecture
et construction de l’imago

- Elisabeth Ruchaud
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Résumé

Le but est ici d’interroger la construction des architectures dans les images. Longtemps négligé comme étant simplement un cadre à la scène figurée, l’architecture est un ensemble de signes complexes et sa représentation dans l’image est multiple. Le psautier d’Utrecht est à ce titre caractéristique mêlant images monumentales et honorifiques mais surtout quelques architectures développées renvoyant aux constructions contemporaines. Ces dernières identifiables et identifiées permettent une contraction du temps des hommes dans l’éternel de Dieu.

Mots-clés : architecture, image, carolingien, représentation, memoria

 

Abstract

The aim here is to question the construction of architectures in images. Long neglected as simply a framework for the figurative scene, architecture is a complex set of signs and its representation in the image is multiple. The Utrecht Psalter is in this respect characteristic, mixing monumental and honorific images but above all some developed architectures referring to contemporary constructions. These identifiable and identifiable buildings allow for a contraction of human time into the eternal of God.

Keywords: architecture, image, carolingian, representation, memoria

 


 

Faire image… Le sujet est vaste et sous-tend finalement beaucoup de notions pour l’historien d’art et celui qui s’intéresse à la construction des images. La formulation en soi est particulièrement pertinente : elle induit par exemple que l’image n’est pas seulement une création indépendante faite de formes et de couleurs variées selon un ordre plus ou moins aléatoire, mais qu’elle est en soit un complément, une annexe ou le supplément de l’écrit. De même que l’écrit se nourrit du monde sensible et des images matérielles retranscrites par les mots et les figures, l’image est intrinsèquement liée à l’écrit qu’elle peut transcender donnant à voir ce que le texte ne laisse parfois qu’implicitement supposer. L’adjonction de cette autre réflexion plus large permet d’envisager un ensemble compréhensible où l’image, en tant que discours à part entière, renvoie à une grammaire, une syntaxe et un vocabulaire spécifique permettant sa lecture et sa compréhension en soi. Faire image, cela peut donc renvoyer non seulement au travail de l’ymagier qui compose mais aussi à celui de l’exégète qui interprète.

La représentation de l’architecture est à ce titre assez révélatrice de ces difficultés de compréhension. Son emploi dans les images a longtemps posé des problèmes d’interprétation : qu’il s’agisse d’un élément semblant être purement décoratif, structurant le discours plus large de l’iconographie, ou encore de bâtiments à valeur symbolique nécessitant une étude approfondie, son étude est complexe et a donc parfois été « oubliée » ou en tout cas largement mise de côté ou minorée ce qui bien entendu oblitère tout un pan de compréhension de l’image. La question de l’iconographie et de l’iconologie de l’architecture oscille entre une double approche, d’un côté l’« illustration » du texte qu’elle accompagne et de l’autre l’allégorie symbolique des formes contemporaines. Ce double emploi de l’architecture honorifique répond ainsi à des normes archétypales qui perdurent dans le temps mais aussi à des formes contemporaines identifiables par le « lecteur » (de l’image comme du texte), permettant de replacer le monde actuel dans le temps de Dieu, dans l’infini de la création, et finalement d’en faire une imago à part entière.

Comme le définit Jean-Claude Schmitt [1], la notion d’imago permet d’appréhender la place centrale occupée par l’image à l’époque médiévale et recoupe un ensemble de trois notions distinctes. Tout d’abord, et sans doute la plus importante, une première notion qu’il qualifie de théologico-anthropologique et qui renvoie à la Genèse et à la création de l’Homme ad imaginem et similitudinem [2] de Dieu. L’homme créé à l’image de Dieu, l’imago permet de définir sa relation au Créateur, de donner corps et matérialité au divin dans une relation qui culmine dans l’incarnation du Christ et qui permet la représentation de Dieu selon sa nature humaine. Ensuite, et c’est cet aspect-là qui retiendra notre attention, l’imago renvoie à une notion plus symbolique, à savoir comment les images peuvent être employées en tant que langage à part entière par leurs formes (symboles, allégories, métaphores etc. formant les bases syntaxiques d’une langue imagée) et leurs fonctions (qui viennent encore approfondir le discours initial). Finalement, l’imago renvoie aussi aux « images mentales », ces productions fugaces de l’esprit et de l’imagination qui viennent enrichir le discours de l’image et en font une expression intérieure.

L’Imago apparait ainsi comme la possibilité de lire l’image au-delà de sa simple nature représentative pour en faire un moyen de la memoria, un outil permettant de replacer ici et maintenant le temps du récit, de lui conférer tout à la fois une éternité et un présent.

Dans ce contexte, la construction et l’utilisation de l’architecture dans les images est un vaste champ d’étude qui reste encore assez largement à défricher et approfondir (malgré quelques études déjà menées). Monumentale, honorifique, développée ou autre, elle adapte ses modes de représentations aux besoins de la figuration et à une fonction utilitaire et symbolique venant renforcer le sens de l’image. Elle se fonde ainsi sur des principes de comparaisons et de parenté [3] entre le modèle et sa copie oscillant entre, d’un côté, le typice qui renvoie au travail de la mémoire collective par l’utilisation métonymique d’un ou plusieurs éléments originaux signifiants, par exemple le plan centré sous coupole comme écho de l’Anastasis de Jérusalem (Psautier d’Utrecht, fol. 90r) ; de l’autre, le figuraliter ou l’utilisation d’un symbole reconnu qui permet la claire identification des représentations, comme le portique sous fronton pour magnifier et isoler la figure royale (Psautier d’Utrecht, fol. 1v).

 

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[1] J.-Cl. Schmitt, « La culture de l’Imago » dans Annales. Histoire, Sciences Sociales, 51e année, n° 1, 1996, pp. 3-36.
[2] Gn, I, 26
[3] R. Krautheimer, « Introduction to an ‘‘Iconography of Medieval Architecture’’ », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institute, vol. 5, 1942, pp. 1-33.