Portraits de pays en photolittérature
jeunesse hongroise

- Gyöngyi Pál
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Fig. 5. E. Bartos, Brúnó Budapesten – Duna, 2017

Fig. 6. E. Bartos, Budapest titkai, 2016
E. Bartos, Budapest rajzban, 2016
E. Bartos, Brúnó Budapesten – Duna, 2017

Fig. 7. E. Bartos, Brúnó és a Duna folyó, 2020

Dans Anna, Peti, Gergő quand la famille part en voyage, elle visite des villes en Hongrie ou fait des excursions à Budapest. La visite est toujours organisée afin d’être intéressante pour les enfants, avec arrêts aux aires de jeux, collations, glaces, etc., mais les lieux et les bâtiments sont représentés avec beaucoup de détails et sont beaucoup plus élaborés que les personnages. L’auteur y trouve une bonne raison pour dessiner des bâtiments et des sites touristiques et utiliser ainsi sa formation d’architecte. C’est probablement les histoires de voyages dans Anna, Peti, Gergő qui inciteront Bartos à entreprendre la réalisation d’une autre série intitulée Brúnó Budapesten [19] [Brúnó à Budapest] qui ne parle plus de la famille de l’auteur mais d’une famille fictive. L’intérêt de cette série se trouve dans le fait qu’elle fut précédée par la publication de deux livres pour adultes (Les Secrets de Budapest [20] et Budapest en dessin [21]), des albums de type « portrait de ville » pour adultes présentant les sites de Budapest.

Dans Brúnó à Budapest, l’histoire relate le déménagement de la famille de Brúnó depuis une petite ville de campagne vers la capitale et ainsi l’histoire présente Budapest depuis le point de vue de l’enfant quasi-étranger, en tout cas non natif, qui découvre la ville. La manière de montrer les sites touristiques est très similaire à la série Anna, Peti, Gergő, sauf qu’il manque la photo de famille authentifiant l’histoire. En revanche, à la fin des livres, se trouvent des cartes des différents quartiers parcourus par le personnage principal et qui invitent les jeunes lecteurs à suivre les itinéraires sur les plans. Ces derniers comme documents assurent la véracité de l’histoire à l’instar de la photo. Le public ciblé n’est plus les enfants de la maternelle comme dans Anna, Peti, Gergő, mais ceux de 6-9 ans. Le texte, par conséquent, est un peu plus long, et contient des renseignements sur les sites et les bâtiments présentés par les adultes, des descriptions bien intégrées dans l’histoire. La découverte de la ville est un bon prétexte pour transmettre d’autres connaissances et savoirs élémentaires pour les enfants de 6-9 ans, en dehors des informations relatives aux lieux présentés. Entre autres, le jeune lecteur y découvre les liens parentaux, le nom des formes géométriques, les types de transports, les panneaux de signalisation, les fêtes, les saisons, etc. Si les bâtiments sont dessinés dans la logique d’un architecte, corrigeant la perspective et montrant par endroit les structures internes, quelques dessins semblent prendre leur genèse dans de photos prises par l’auteur et montrées sur son site Internet [22].

Lors d’un entretien, l’auteur explique avoir mené sa recherche préparatoire pendant une dizaine d’années visitant les sites, rassemblant des documents, faisant le tri de sites informatifs [23]. Toutefois, dans la série Brúnó à Budapest, les photos ne sont intégrées que dans le volume intitulé Danube [24] et dans ce volume, ce ne sont pas les photos prises sur les sites (par l’auteur ou de banques d’images), mais des photos d’archives [25], des cartes postales montrant les lieux avant leur reconstruction (fig. 5). Les photos d’archives invitent à jouer le jeu de comparaison d’un avant et après, ce que le texte ne transcrit que par endroit. La photo semble avoir une visée purement pédagogique, elle n’est intégrée au livre qu’en tant que document visuel, et elle est d’ailleurs amplement utilisée dans les petits livrets pédagogiques qui accompagnent les volumes. Dans ces derniers les clichés permettent de découvrir les sites réels dessinés dans le livre et sont mêlés dans le livret aux dessins dans les activités ludiques tels les jeux de logique, les coloriages, les points à relier, les labyrinthes, etc. Ils sont accessibles dans les librairies pour tous ceux qui souhaitent approfondir les connaissances sur Budapest en s’amusant et en améliorant les compétences visuelles (exploration de formes, de couleurs, de quantités).

L’auteur affirme que son objectif avec cette série destinée aux enfants de maternelle et de primaire était de donner des idées de programmes et des suggestions d’excursions aux familles [26] : où aller et quoi faire à l’intérieur ou en plein air à Budapest et dans ses alentours. De ce point de vue, le livre s’apparente à un guide touristique, axé sur les intérêts des enfants, rédigé dans le langage des enfants : excursions, visites de musées, sites historiques, se mêlent aux moments de collations, aires de jeux, parcs thématiques, zoo, etc. Le but pédagogique est clairement identifiable : faire connaître le patrimoine, donner une référence identitaire, revendiquer un attrait touristique et montrer les beautés de la ville. Si l’idée de la série trouve sa source dans les excursions en famille racontées dans Anna, Peti, Gergő, dans les livres de Brúnó les sites sont parcourus de manière systématique ce qui apporte une visée encyclopédique à l’ouvrage.

Il est intéressant de comparer la place et la fonction de la photographie dans la série Brúnó avec les deux autres livres pour les adultes [27] mentionnés auparavant. Les deux livres parus à compte d’auteur sont des portraits de ville où le choix subjectif de l’auteur est clairement assumé. Le texte est un assemblage d’histoires anecdotiques concernant la construction de bâtiments historiques et de leur alentour. Les secrets de Budapest [28] prend la forme d’un album amplement illustré de photos (provenant de l’auteur, d’archives, de stock photos, de différentes sites internet) et de dessins, le style du texte combine la rigueur scientifique et le divertissement. La sensibilité de l’auteur, son penchant pour l’architecture sont à l’origine de la collecte des images (ainsi trouvons-nous un grand nombre de photos de maquettes de bâtiments). Les photos servent à retracer les changements des bâtiments ou montrer les sites tels que le grand public ne peut pas le voir. Le livre Les Secrets de Budapest contient beaucoup de photographies tandis que Budapest en dessin est une version abrégée de l’album avec la suppression des photos. Mais la comparaison des trois livres montre comment l’auteur sélectionne en simplifiant l’histoire, comment la photo devient la matrice du dessin pour les adultes, et comment ce dernier est réemployé dans la version coloriée pour les enfants (fig. 6).

Le dessin d’architecture de la cathédrale dans Les Secrets de Budapest, devient un élément décoratif et illustratif dans Budapest en dessin, pour ensuite devenir un élément narratif dans Brúnó à Budapest : un dessin réalisé par un peintre de rue que l’oncle de Brúnó achète pour sa femme lors d’une visite du château.

Bartos évolue vers une utilisation accrue de la photographie. Sur son site, elle diffuse des films dans lesquels elle raconte quelques parties de l’histoire de Brúnó [29]. Le récit est narré à l’aide d’une succession d’images fixes, provenant du livre, ou légèrement modifiées ou encore par des photos dans lesquelles le personnage semble entrer dans le cadre [30] (fig. 7). Toutefois, malgré cette apparente évolution, la photo ne semble pas être valorisée en soi dans son œuvre. Elle acquiert soit une fonction documentaire, soit elle est utilisée en tant qu’élément à remixer dans le dessin ou dans l’histoire. Bartos reprend ainsi l’idée commune que l’utilisation du dessin sied mieux aux jeunes lecteurs, car plus propice à enrichir l’imagination.

En conclusion, ce bref parcours historique montre que le rôle des maisons d’édition est primordial dans l’existence ou l’absence des portraits de pays photolittéraires destinés au jeune public. La fonction documentaire et pédagogique assignée à la photographie semble ne pas s’affaiblir malgré l’avènement de la culture remix, même si l’objet devient plus tangible, facilement modifiable, repris et transformé d’un ouvrage à l’autre.

 

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[19] Erika Bartos, Brúnó Budapesten [Brúnó à Budapest], Budapest, Móra, 2017-2021. Six tomes sont parus jusqu’en 2021.
[20] Erika Bartos, Budapest titkai [Les Secrets de Budapest], Budapest, Móra, 2016.
[21] Erika Bartos, Budapest rajzban [Budapest en dessin], Budapest, Móra, 2016. Le livre paraît également en anglais sous le titre : Budapest in drawings (Budapest, Móra, 2016).
[22] Voir le site consacré au livre Brúnó à Budapest (en ligne. Consulté le 26 juillet 2022).
[23] « Bartos Erika interjú - Hogyan készült a Brúnó sorozat? » [« Interview d’Erika Bartos - Comment la série Brunó a-t-elle été réalisée ? »], YouTube, 4 mn (en ligne. Consulté le 26 juillet 2022).
[24] Erika Bartos, Brúnó BudapestenDuna [Brúnó à Budapest – Danube], Budapest, Móra, 2017.
[25] Les photos proviennent, entre autres, de la base de données numérisée de l’Archive de la Ville de Budapest (en ligne. Consulté le 26 juillet 2022).
[26] « Bartos Erika interjú - Hogyan készült a Brúnó sorozat? » [« Interview d’Erika Bartos - Comment la série Brunó a-t-elle été réalisée ? »], Op. cit.
[27] Curieusement malgré le fait que le livre a été expressément dédié à un public adulte, dans la bibliothèque municipale (Fővárosi Szabó Ervin Könyvtár), il a été classé dans la section enfant.
[28] Erika Bartos, Budapest titkai [Les Secrets de Budapest], Budapest, Móra, 2016.
[29] Les lectures filmées s’adaptent bien à la méthode d’écriture de l’auteur, car Bartos rédige d’abord les textes, puis réalise les images. Le texte est d’abord lu pour un public enfant pour tester l’histoire, puis celle-ci est ajustée si nécessaire. La réalisation du film offre une deuxième possibilité de lecture après la publication du livre. Selon l’interview avec E. Bartos diffusée sur son propre site Internet et sa chaine YouTube (en ligne. Consulté le 26 juillet 2022).
[30] Erika Bartos, Brúnó és a Duna folyó [Brúnó et le fleuve Danube], 12 mn 36, YouTube, (en ligne. Consulté le 26 juillet 2022).