« This is the World » L’œuvre de
Miroslav Šašek et la construction
d’un capital géographique

- Christophe Meunier
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Fig. 10. V. L. Burton, Maybelle,
the Cablecar
, 1952

Quelle définition pourrait donc être donnée d’un album-géographe ? L’adjonction des deux substantifs donne au premier un pouvoir qu’il n’a plus lorsqu’il est suivi de l’adjectif « géographique ». Mes travaux sur Warja Lavater [24], sur l’œuvre de Pierre Probst [25] et cette étude de la série « This is » m’amènent à construire une définition qui pourrait être celle-ci : un iconotexte qui, par le tressage des narrations textuelle et iconique, transmet aux lecteurs des informations positionnelles et relationnelles sur les personnages des récits pouvant informer ou modifier les conceptions initiales des lecteurs sur l’espace et les rapports à l’espace.

Pour conclure, j’aimerais interroger la postérité de l’œuvre de Šašek. A partir du milieu des années 1960, l’artiste fait face à des commandes de plus en plus nombreuses de la part de son éditeur Simon & Schuster mais également d’offices de tourisme de différents pays. C’est à partir de cette époque que les portraits d’Etats se substituent peu à peu aux portraits de villes, altérant quelque peu la démarche d’un auteur-illustrateur voyageur. Šašek se documente et réduit ses propres voyages.

Après sa mort, en 1980, son œuvre tombe rapidement dans l’oubli. Pendant plus de 20 ans, le style « années 1950 » sera ringardisé à l’instar du travail de Saignac, Etaix, Probst. Au début des années 2000, quelques spécialistes, ou amateurs, tels Harold Manning [26] ou Ann Ward [27], tentent de faire sortir Miroslav Šašek de l’oubli en publiant divers articles sur son travail ou en créant tout simplement un site web, disparu aujourd’hui. La grande maison d’édition newyorkaise, Rizzoli publishing, se débat entre les héritiers et l’éditeur originel Simon & Schuster, pour obtenir les droits et lancer une réédition des premiers albums de Šašek en 2004. Casterman se jette à son tour dans cette œuvre de réédition en 2009, suivie par une maison tchèque en 2015, Baobab. Des expositions se multiplient à travers l’Europe entre 2013 et 2016, à M unich, Moscou, Prague...

On assiste véritablement, ces dernières années, à un engouement pour le style « années 1950 », et pour les ouvrages de Šašek, notamment dans toutes les grandes villes touristiques qui se mettent en avant à travers ces albums et divers produits dérivés. Aujourd’hui, on peut trouver des albums de la série des « This is... » dans les boutiques de souvenirs des aéroports de Londres, de Paris, de San Francisco, de Rome, de Venise... Le cas de San Francisco est à lui seul assez saisissant. La capitale des GAFA a pratiquement vu disparaître toutes les librairies en centre-ville. On ne trouve plus guère d’ouvrages papiers que dans une librairie tenace, sur Colombus Avenue, City Lights Books, ou une librairie pour touristes, Book Passage, dans le Ferry Building. Dans ces deux endroits, vous pourrez vous procurer votre exemplaire de This is San Francisco, placé en tête de gondole à côté de Maybelle, the Cablecar de Virginia Lee Burton, ouvrage de 1952 (fig. 10). Images de la ville de San Francisco, albums devenus ou étant devenus des « classiques de la littérature » britannique, française, américaine... internationale ?

Même si les nouvelles éditions de Šašek sont accompagnées d’un petit cahier qui corrige et précise ce qui a pu changer en 40 ou en 50 ans, elles contribuent à apporter une représentation archétypale de ces grandes métropoles mondialisées, standardisées et uniformisées.  Comme le faisait remarquer très justement la journaliste Béatrice Kahn, dans Télérama, les albums de Šašek, mais également tous les produits dérivés (porte-monnaie, mugs, autocollants...), apportent « un petit supplément d’âme et de mémoire collective » [28] à ces aires urbaines globalisées.

 

 

Ouvrages de Miroslav Šašek


M. Šašek, This is… Paris, New York, Simon & Schuster, 1959.
M. Šašek, This is… London, New York, Simon & Schuster, 1959.
M. Šašek, This is… Rome, New York, Simon & Schuster, 1960.
M. Šašek, This is… New York, New York, Simon & Schuster, 1959.
M. Šašek, This is… Edimburgh, New York, Simon & Schuster, 1961.
M. Šašek, This is… Venice, New York, Simon & Schuster, 1961.
M. Šašek, This is… Munich, New York, Simon & Schuster, 1961.
M. Šašek, This is… San Francisco, New York, Simon & Schuster, 1962.
M. Šašek, This is… Israel, New York, Simon & Schuster, 1962.
M. Šašek, This is… Cape Caneveral, New York, Simon & Schuster, 1963.
M. Šašek, This is… Ireland, New York, Simon & Schuster, 1964.
M. Šašek, This is… Hong Kong, New York, Simon & Schuster, 1965.
M. Šašek, This is… Greece, New York, Simon & Schuster, 1966.
M. Šašek, This is… Texas, New York, Simon & Schuster, 1967.
M. Šašek, This is… The United Nations, New York, Simon & Schuster, 1968.
M. Šašek, This is… Washington, D.C., New York, Simon & Schuster, 1969.
M. Šašek, This is… Australia, New York, Simon & Schuster, 1970.

M. Šašek, This is… Historic Britain, New York, Simon & Schuster, 1974.

 

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[24] Chistophe Meunier, « Des albums-géographes au service de la pensée spatiale. L’exemple des imageries de Warja Lavater », Géocarrefour, 94/4, 2020 (en ligne. Consulté le 27 juillet 2022).
[25] Chistophe Meunier, « Caroline et la montagne. Ces albums populaires qui construisent la montagne », Journal of Alpine Research / Revue de géographie alpine, 104-4, 2016 (en ligne. Consulté le 27 juillet 2022).
[26] Anna Kubišta, « La Magie des dessins de Miroslav Šašek revit après des décennies dans l’oubli », Foreign broadcast of Czech Radio, art. cit.
[27] Ibid.
[28] Béatrice Kahn, « Paris, New York, Londres… vues par Miroslav Sasek », Télérama, 22 septembre 2009 (en ligne. Consulté le 27 juillet 2022).