Portraits de pays dans les collections jeunes publics (Europe/Amériques, XIXe-XXIe siècles)
– Introduction

- Laurence Le Guen, Christine Rivalan Guégo
et Catherine Sablonnière

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Conscients des outils à leur disposition, éditeurs et illustrateurs ont également mis en place des dispositifs pour répondre à leurs ambitions. Ainsi Alexa Craïs questionne les albums de jeunesse publiés à l’attention des jeunes enfants étrangers en Allemagne et se penche sur la construction du vivre ensemble en s’interrogeant sur la politique éditoriale de la maison d’édition de Leipzig, Klett Kinderbuch, plus précisément sur une série ALLES. Christophe Meunier analyse comment l’illustrateur tchèque Šašek a cherché à transmettre à ses lecteurs une manière d’habiter le monde, avec sa collection « This is the world… » et ses 18 « albums-géographes » écrits et illustrés entre 1959 et 1974.

Les représentations idéalisées ou stéréotypées ont longtemps éludé la réalité têtue des problèmes sociaux ou politiques comme le reflète la série « Le Monde » publiée en France par les Editions Piccoli de Milan, dont l’étude d’un des volumes, Les petits Espagnols, par Christine Rivalan Guégo montre comment cette série qui reflète les intérêts culturels, géographiques, voire touristiques, exprimés dans les années 1950, semblait vouloir cibler un jeune lecteur européen, voire mondial. Ce conflit entre réalité des questions sociales et politiques et représentations idéalisées se retrouve dans l’analyse de Daiane F. F. Ferreira qui met en évidence les nuances de certaines stratégies éditoriales de promotion d’une littérature étrangère grâce à l’album Poésie et chanson brésiliennes publié dans la collection « Albums Dada » aux éditions Mango.

La seconde partie de ce dossier réunit des contributions qui offrent des regards transversaux et complémentaires interrogeant les frontières du genre. Afin de caractériser ce qui a pu servir de modèle ou de cadre référentiel aux futures collections de portraits de pays au XXe siècle, Catherine Sablonnière examine le développement de collections espagnoles proposant des récits de voyages et d’aventures, en Espagne dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’évolution du statut de l'image dans les portraits de pays hongrois, du fonds d'illustration de l'histoire au début du XXe siècle à sa réutilisation dans la culture contemporaine du remix, fait l’objet de l’étude de Gyöngyi Pál. Au-delà de l’édition pour la jeunesse, Caterina Ramonda questionne la presse jeunesse dans l’Italie des années 1960-1970, une période particulièrement vivante et productive dans le domaine des publications destinées au jeune public en s’appuyant notamment sur les publications du Corriere dei Piccoli. Et le mot de la fin est pour Saad Bouri, directeur des éditions du Jasmin, qui présente la collection des contes de la collection « Contes d’Orient et d’Occident », témoignant ainsi des préoccupations et de la politique éditoriale de sa maison d’édition.

Au terme de ce dossier la fécondité de l’appellation « portrait de pays » se voit vérifiée dans le domaine de la littérature jeunesse. Les ambitions didactiques qui ont toujours été les siennes ont trouvé une manne dans cette thématique déclinée, on en aura eu un bref aperçu, dans de nombreuses langues par des éditeurs relayant des auteurs et des autrices ainsi que des illustrateurs et des illustratrices.

Cependant, les approches ne sont pas restées figées et le genre, car cela semble bien en être un, s’est adapté aux nouvelles réalités et aux nouvelles attentes : éduquer le jeune citoyen plutôt que le jeune enfant, le mettre au contact des réalités socio-économiques et géopolitiques du monde qui est le sien et enfin, lui offrir un choix de lectures où se croisent fiction, documentaire et patrimoine immatériel.

C’est dire que ces portraits de pays n’ont pas fini de faire couler beaucoup d’encre et qu’aux modèles désormais caduques, ou tout au moins surannés, en vigueur jusqu’à la fin du XXe siècle, ont succédé des propositions qui renouvellent le genre par des emprunts à d’autres patrimoines, oral ou musical, et par l’hybridation des formes. Un infini de possibles est ainsi ouvert.

 

Bibliographie

 

David Martens, « Portraits phototextuels de pays. Jalons pour l’identification d’un genre méconnu », Communication et Langages, n° 202, 2019, pp. 3-24 (en ligne. Consulté le 23 août 2022).

David Martens, « Qu’est-ce que le portrait de pays ? Esquisse de physionomie d’un genre mineur », Poétique, n° 184, 2018, pp. 247-268 (en ligne. Consulté le 23 août 2022).

David Martens, Anne Reverseau, Pays de papier les livres de voyage, préface de Xavier Canonne, musée de la photographie, Charleroi, 2019.

David Martens, Jean-Pierre Montier, Sophie Lécole-Solnychkine, Portraits de pays. Textes, images, Sons, Rennes, PUR, 2023.

 

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