Portraits de pays dans les collections jeunes publics (Europe/Amériques, XIXe-XXIe siècles)
– Introduction

- Laurence Le Guen, Christine Rivalan Guégo
et Catherine Sablonnière

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Du récit de voyage imaginaire du début du XXe siècle aux documentaires fictionnels des années 1950 ou ceux d’aujourd’hui, le genre du « portrait de pays » forme une importante catégorie de la littérature pour la jeunesse, même si ce terme est encore peu usité pour désigner ces ouvrages qui présentent, directement ou indirectement, des territoires. Il s’agit d’ouvrages destinés aux enfants pour mettre en livre le monde, dire l’espace et la spatialité, décrire l’ici et l’ailleurs, par le texte et/ou par l’image, par la fiction ou le documentaire, par la photographie ou l’illustration graphique. Ces livres, majoritairement rassemblés sous formes de collections déterminées, proposent une « connaissance du monde », conjuguent la notion de spatialité avec celles de pays, au sens large de l’acception du mot, d’identité nationale ou régionale et d’altérité. Ces séries ont souvent été pensées pour faire connaître la vie d’enfants d’ailleurs, avec l’intention de contribuer à la paix entre les peuples tout particulièrement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Prenant en quelque sorte la suite des études sur les « Portraits de Pays » en photolittérature, initiés par David Martens et Jean-Pierre Montier notamment, ce dossier explore les « Portraits de Pays » dans les collections éditoriales à destination de la jeunesse.

A partir d’un panorama d’ouvrages tirés d’espaces géographiques et de temporalité différents, les articles de ce dossier questionnent le portrait de pays pour la jeunesse sous l’angle de son histoire, de sa matérialité, de ses évolutions et variations, de sa représentation, de sa circulation et de sa réception. Il tente d’esquisser une généalogie du genre et de dégager les marqueurs génériques de cette production destinée à la jeunesse. L’utilisation d’un patrimoine iconographique questionnant la génétique de ces œuvres, les analyses présentées portent également sur les liens complexes entre le texte et l’image, afin d’approcher un « portrait » de pays qui partage avec les arts visuels de nombreux points de convergence et examinent comment s’articulent dans ces portraits les relations entre textes et images, dessinées ou photographiques. Ces analyses ambitionnent également de mesurer la logique de collection – de nombreuses séries déclinant pour chaque titre, le quotidien d’un enfant dans un pays différent – et l’impact de la mise en série tant du côté des auteurs et autrices que de celui des lecteurs et lectrices.

Loin de proposer un regard scientifique sur les pays qu’ils dépeignent, ces ouvrages n’ont pas vocation à se substituer aux manuels de géographie ainsi que le montre le rôle majeur attribué à la narration, qu’ils partent du point de vue, même supposé, d’un enfant, ou d’un regard extérieur. La façon dont ces portraits de pays s’élaborent montre également que, au-delà de la relation convenue texte-image, ils peuvent aller chercher la contribution du patrimoine immatériel des contes et de la musique. Leur porosité avec d’autres genres, parfois éloignés, est également convoquée avec le recours à des reportages photographiques publiés dans la presse.

Ces analyses interrogent également les traductions et l’adaptation des portraits de pays pensés pour un lectorat bien précis et leur adaptation à un autre. L’évolution de leur finalité se fait jour car il ne s’agit plus seulement de sensibiliser le jeune lecteur aux autres cultures, aux autres langues existant en dehors de l’espace nation, mais aussi de mettre ces portraits de pays au service d’une politique d’intégration. L’enjeu de ces publications, destinées à ancrer dans les jeunes esprits un discours promouvant de prime abord la tolérance et la curiosité mais aussi des valeurs propres à chaque société – et peut-être moins universelles –, dans un monde en reconstruction et en mouvement perpétuel, apparaît ainsi fondamental, et leur confère une portée politique indéniable. Cette dimension politique et idéologique, amplement abordée dans ce dossier, reste à confronter à l’aspect plus économique des séries de portraits de pays au succès constant qui constitue un élément de motivation pour leur publication par les éditeurs.

En introduction, David Martens, un des premiers à avoir théorisé le « portrait de pays », propose ses considérations sur le genre tout en mettant en perspective ses travaux, au sein du groupe MDRN de l’université de Louvain autour du genre phototextuel du « portrait de pays », avec les ouvrages pour les plus jeunes. De leur côté, Eleonore Hamaide-Jaegger et Florence Gaiotti présentent un panorama de la production française de 1980 à 2010, à partir de l’exploration d’ouvrages consacrés à la présentation de pays ou de territoires présents dans le fonds CRILJ de l’Université d’Artois et questionnent les caractéristiques de ces « portraits de pays » destinés à la jeunesse.

Dans une première partie sont regroupés les résultats de différentes études consacrées à des collections produites dans et sur des espaces géographiques variés et qui font émerger toute une série de questionnements. En les analysant, Laurence Le Guen met en lumière le rôle des péritextes des portraits de pays phototextuels en prenant appui sur trois collections françaises publiées des années 1950 à 1980 : « Enfants du monde », « Connais-tu mon pays ? » et « L’enfant et l’univers ». Elina Druker explore la façon dont la photographie documentaire est utilisée pour appliquer une pratique visuelle moderniste et idéologique dans les livres pour enfants au cours des décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale en Suède, en prenant appui sur les ouvrages de la photographe Anna Riwkin.

 

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