CM – Et pour poursuivre sur ton regard sur l’environnement, est-ce que celui-ci a changé à force d’aller en montagne ? Et si oui de quelle manière ? JD – Oui, d’une façon générale. C’est très très peu mais c’est quand même très précieux, tu as la sensation de faire un peu plus partie de cet ensemble et que cet ensemble fait un peu plus partie de toi, qu’il y a un peu plus de proximité, oui. C’est ça que tu demandes ? CM – sans présumer de la réponse, oui ! Tu parles d’une sorte d’« intensification » alors ? JD – plutôt un rapprochement, par l’outil, et l’outil se raccourcit, tu as moins besoin d’outils puisque tu as une sensation que tu as acquis par ça, mais qui reste. Un peu comme quand tu as connu quelqu’un, il y a une connaissance qui reste, mais sur le paysage. CM – Est-ce que ta pratique pourrait relever de l’inscription, au sens d’essayer d’inscrire un mouvement ? Dans l’installation avec la rivière par exemple, comment décrirais-tu ton geste à toi ? Quel est le statut de ton geste pour « mettre en résonance », « en accordage » ? JD – Je n’ai jamais utilisé ce terme, ni vraiment réfléchi comme ça. Mais oui je pense qu’il y a une dynamique d’inscription. Je dois inscrire quelque chose sans m’en rendre compte quand je fais un geste. Si je touche l’eau, j'inscris quelque chose dans cette eau, à travers mon outil. Et puis il y a l’inscription de l’eau sur l’outil et à travers l’outil, qui va inscrire quelque chose en fonction de l’inscription que j’ai fait, donc ça va être une dynamique. Voilà, je le verrai comme ça. CM – Est-ce qu’on peut dire alors que c’est plus le mouvement et sa dynamique qui t’intéressent plutôt que la trace, que ce qu’il en reste ? JD – Ce qu’il en reste, c’est un peu le clin d’œil que fait... [la bouse], c’est la trace du retour. C’est-à-dire, la trace c’est un mal fait. Tu demandais si il y avait parfois des choses désagréables, eh bien oui c’est extrêmement désagréable quand ça ne marche pas, c’est très cruel. Pour trois choses, d’abord parce que ça ne marche pas et puis, si tu as un contrat tu vas avoir une inquiétude sociale, et en plus troisièmement tu te trouves vraiment prétentieux de vouloir toucher à ces choses-là, auxquelles tu n’as pas accès... Et ça ce sont des états très désagréables, qui sont le contraire de quand ça marche ! CM – Quand il n’y a pas de réponse ? JD – Oui quand il n’y a pas de réponse ! CM – Et selon toi, pourquoi il n’y a pas de réponse ? Parce que le dispositif ne fonctionne pas ? JD – Eh bien là, c’est... attends je vais retrouver la phrase que j’avais notée, ces phrases que tu notes quand tu comprends quand même un petit peu ce qui se passe… où tout d’un coup tu te dis d’accord c’est ça ! Voilà : « Interroger le réel, produire le questionnement. Quand il y a une réponse, elle vient de la vibration qui s’établit entre le geste proposé au sujet et le sujet. Est c’est le sujet qui semble le produire. Quand le travail reste sans réponse, c’est souvent par manque d’écoute. » Si le dispositif ne fonctionne pas, c’est que l’écoute de l’autre n’est pas bonne. CM – Je reviens à la question dans la question : comment décrirais-tu ton geste à toi dans ce genre d’« installations ». JD – Je dirais : proposition, questionnement. Inquiétude sûrement quelque part aussi. Sinon tu regardes, tu n’agis plus. On parlait tout à l’heure de cette phase de maîtrise où il faut qu’il y ait beaucoup d’inquiétude. Après quand tu cherches le partage, tu acceptes un peu plus l’autre, il y a de l’inquiétude mais moins. Et après il y a la contemplation, là tu es au repos. CM – Et à propos de cette proposition que tu fais, ce geste qui émane de toi, qu’est-ce qui fait qu’il y a besoin de ce geste, de cette action ? JD – Il y a besoin de l’action au départ (première phase maîtrise, deuxième phase rencontre, troisième phase contemplation), mais dans l’échange il y a… pour le dire en faisant une généralité, ce genre de relation, que l’on a un peu décortiquée, la plupart des gens ne l’ont rencontrée dans leur vie que dans une seule phase, lorsqu’ils ont été amoureux. Là, c’est élargi.
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