Extraits d’un entretien réalisé avec Jacques Dégeilh en février 2024, chez lui, dans les Pyrénées ariégeoises. Propos recueillis par Claire Mélot. Claire Mélot – Alors, peut-être qu’on peut reprendre sur ton travail autour de « l’empreinte d’une relation ». Est-ce que tu pourrais nous dire quelques mots sur ce que tu appelles « mise en résonance » ou « accordage », sur ta manière d’initier ce geste-là ? Jacques Dégeilh – Eh bien d’abord, je suis incapable d’anticiper. Et je ne crois pas que ça me soit déjà arrivé. Parce que cela voudrait dire qu’il y aurait une maîtrise, de tout, or ça n’est pas ça, et pour beaucoup de choses. Même pour faire une prise de vue sur une fleur, je n’arrive pas à tout concevoir, puis arriver, faire un geste et faire la photo. Il faudrait que je sache d’où vient la lumière, d’où vient le vent, quelle est ma hauteur etc., tout ça je suis incapable de le concevoir. Donc je vais me baisser, tourner autour, monter, etc. et ça va se construire, mettons pour un geste comme ça, pendant une demi-heure, pour arriver à être dans un petit accord avec cette chose-là. CM – Par tâtonnements ? JD – Oui c’est ça, mais il y a quelque part aussi l’expérience, l’accumulation des savoirs précédents, qui sont convoqués sans que tu t’en rendes compte. Mais franchement, je ne sais pas qui irait regarder la rivière et dirait allez hop je vais maîtriser ça, sans mettre un bâton pour sentir l’eau là… tout ne passe pas par le mental. CM – Ça veut dire que c’est d’abord en faisant une balade, en allant au bord de la rivière que ça t’es venu ? Parce que tu te laisses surprendre, mais il faut aussi que ton regard soit attiré… JD – Oui, eh bien là, il y a une attraction, et qui n’est pas très loin des rencontres humaines. Il y a une attraction, et je me dis ça c’est considérable, il y a un truc. Et tu vas passer du temps avec petit à petit. CM – Quand tu vas te balader alors, est-ce que tu es déjà en train d’avoir ce regard un peu « actif », activé sur ce qui peut te surprendre ? Ou bien, rien à voir, tu étais parti aux champignons et tout d’un coup… JD – Ah non, pas du tout ! On ne trouve que ce qu’on cherche ! Mais ce n’est pas chercher quelque chose c’est vraiment un peu le contraire : tu ne cherches pas des champignons, tu ne cherches pas etc… Tu te rends disponible. Comme je le disais tout à l’heure : tu arrives et c’est « qui veut jouer avec moi ? » Et tu ne sais pas où tu vas, parce que si tu te dis, bon je vais là-haut et je vais travailler avec le brouillard, tu es sur que tu n’auras pas de brouillard ce jour-là ! CM – Et comment tu te rends disponible ? Est-ce que tu as des techniques ? JD – Alors je vais t’expliquer, même si je vais dire des bêtises. Pour faire ça, pour se rendre « disponible », j’ai ce souvenir par exemple : j’avais un rendez-vous pour un boulot important et sérieux, et en même temps je travaillais en montagne, sur ça [une installation sur le pastoralisme], j’étais sur une semaine en montagne. Je reçois un appel qui me dit, c’est urgent il faut que tu passes, et j’ai répondu non excuse-moi, j’ai un rendez-vous très important ce matin, je ne peux vraiment pas passer. Et en fait j’allais là-haut, c’est ça se rendre disponible, ne pas faire autre chose. CM – Donc, il y a se rendre disponible, mais aussi prendre les choses au sérieux. JD – Oui, c’est ça il n’y a pas de plaisir à provoquer pour rien, quand je dis excuse-moi j’ai un rendez-vous important, en fait c’est vrai. CM – Et est-ce qu’à l’inverse il t’est arrivé d’être disponible mais des moments trop sollicitants, où tu ne voulais pas voir ? JD – Ah ça non jamais, non ! Mais parce que c’est amical, mon geste est amical, et ce qui est rendu l’est aussi. CM – Cette interaction avec ton environnement, est-ce que ça t’es arrivé de refuser une relation ? De voir quelque chose mais de ne pas y réagir, de sentir que ce n’était pas le bon moment, quelque chose comme ça ? JD – Non, jamais il n’y a eu de « retour » négatif, tu as l’impression d’avoir une familiarité surdimensionnée, accrue avec la chose, d’être un peu plus de la famille, avec chaque élément travaillé un peu plus de familiarité. Non, tout ça c’est vraiment positif, pas eu d’accident grave non plus, c’est arrivé parfois, presque mais non...
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