Je n’écris pas seulement avec la main :
Depuis plus de quarante ans, Jacques Dégeilh (1955) arpente les Pyrénées ariégeoises. Après avoir d’abord rêvé de devenir aviateur (c’est l’époque de la Caravelle et de nombreux enfants du pays iront grossir les rangs de l’industrie aéronautique), Jacques Dégeilh choisit une autre voie en entrant aux Beaux-Arts de Toulouse. A la fin de sa formation, peu intéressé par les mondanités de la scène artistique, il fait le choix de retourner s’installer dans les vallées du Couserans et il s’engage dans un processus d’exploration de la montagne qui deviendra le fil rouge de son travail. Au début des années 1980, Jacques Dégeilh développe l’arpentage en haute-montagne comme pratique artistique. Il exerce d’abord comme photographe, écumant les plus beaux coins de l’Ariège, avant de travailler comme scénographe puis comme artiste plasticien, notamment avec L’Estive, Scène Nationale de Foix et de l’Ariège. Sans consulter de cartes topo au préalable, il part à l’aventure, à la rencontre de la montagne et des gestes pastoraux qui l’habitent. « Ne pas connaître » constitue la première étape d’une démarche de recherche et d’expérimentation longue et exigeante – quatre ans pour faire connaissance avec la montagne derrière chez soi. Le travail de Jacques Dégeilh consiste ainsi à passer « beaucoup beaucoup de temps » dehors, et à honorer ces « rendez-vous importants » avec la montagne. Photographie, scénographie, installations, peinture, sculpture, bricolage, cuisine, réalisation de films etc., sont pour lui des occasions de (re)faire connaissance avec tel ou tel élément du milieu, humain ou non-humain. Créant un procédé spécifique pour chaque relation et fabriquant « un pinceau pour chaque toile », il a ainsi réalisé des centaines d’installations en intervention directe ainsi que des séries de toiles peintes en montagne. Toujours en cohérence avec cette démarche, Jacques Dégeilh a été l’instigateur de la création de « l’Observatoire de la montagne dans la vallée de l’Orlu », un musée vivant dont il a conçu et réalisé les collections et la scénographie [1]. Aujourd’hui à la retraite mais toujours espiègle et avec ses plus belles années de pratique devant lui (comme il aime à le dire : ce sont les cinquante premières années de travail qui sont les plus dures !), Jacques Dégeilh continue à explorer les gestes qui l’entourent. Il poursuit ainsi avec passion ses travaux de recherche, portant sur la mise à jour de savoir-faire et d’outils montagnards, tels que la faux (dans une approche aussi bien scientifique et technique qu’expérimentale et chorégraphique), ou encore sondant le « son des étoiles »… Se tenir au bord du geste Ce qui fait la particularité de la démarche de Jacques Dégeilh, c’est le choix revendiqué d’un travail in situ, dans et avec le contexte, par des gestes engagés dans le milieu qu’ils questionnent. Travailler ainsi « sur la place du village » donne au geste artistique, parce qu’il a lieu en contexte et non dans l’espace spécifique d’une galerie d’art, un poids bien particulier. Le milieu n’est pas un paysage ni un cadre d’action, mais ce avec quoi l’artiste cherche à entrer en relation. Ses questions, lancées aux torrents, aux vents, aux pollens, aux neiges et aux habitant·es de ce territoire, sont des « propositions » auxquelles l’environnement vient répondre. Jacques Dégeilh pratique un art de la « mise en résonance » avec les dynamiques du milieu. Sa démarche consiste à prendre la mesure de ce qui est là et à prolonger des gestes qui existent déjà. Ses œuvres sont ainsi non seulement le produit d’une recherche, d’un geste (et parfois de l’inlassable perfectionnement d’un dispositif ou d’un support adapté), mais surtout l’« empreinte » d’une relation vécue. Cette démarche dont l’exigence est l’ouverture, est un lâcher-prise ou plutôt un laisser-venir, qui avance par tâtonnements. L’autodérision et le rapport décomplexé à l’échec sont autant les moteurs d’une attention toute nietzschéenne à ce qu’il y a de fondamentalement artiste dans notre rapport au monde, qu’une approche quasi dada du milieu montagnard qui désamorce toute ambition romantique et toute volonté de maîtrise. Les œuvres présentées ci-après sont des extraits du cycle Avec…, qui se compose de plusieurs séries de réalisations : Avec le cerisier, Avec la neige, Avec la prairie, Avec le torrent, etc. La seconde série intitulée Avec la rivière, approfondit cet art de la relation avec par une étude sur la dynamique particulière au trait comme lien avec l’environnement sous le titre : La Nature du trait. [1] L’Observatoire est un projet de musée mené dans la vallée de l’Orlu par un groupe de pilotage fédérant des acteurs de la montagne (paysans, techniciens de la montagne, politiques, instituteurs, maires, curés, représentants de députés, scientifiques, naturalistes et toutes les administrations qui travaillent en montagne, ONF, DIREN, etc.,) avec chacun sa posture et son intérêt particulier ; et aujourd’hui associé à une mission de l’ONCFS. Jacques Dégeilh a consacré une dizaine d’années à ce musée insolite et à cette constellation d’acteurs, avec pour ambition d’à aller vers « une image plus riche de la montagne ». En entremêlant démarche artistique et scientifique et tout en s’attachant aux paradoxes et à la complexité du vécu en montagne, il a parcouru le territoire pour alimenter en images, dessins, prises de son, photographies, vidéos et interviews, un musée vivant et à renouveler. Ce travail d’observation de la montagne à partir du milieu particulier des montagnes d’Orlu, a donné lieu à une publication : A la rencontre de la montagne. Sur le sentier de la réserve naturelle de la faune à ORLU, Editions L’Image du temps, 2005 (en ligne). |