L’illustration dans l’œuvre
d’Anne-Marie Christin.
Une étude bibliographique
- Hélène Campaignolle-Catel
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Les textes consacrés à l’illustration : des études monographiques aux textes théoriques
Au terme de notre repérage bibliographique, notre base de textes portant sur l’illustration, compte huit textes [29] si on inclut un dernier texte qui accorde au thème illustratif une place minime mais notable dans l’Histoire de l’écriture : « Poésie visuelle et livres de peintres » [30].
1- « Images d’un texte : Dufy illustrateur de Mallarmé » (1979) [31]
2- « Un livre double : Le Voyage d’Urien par André Gide et Maurice Denis » (1984) [32]
3- « Le poète illustrateur : à propos du recueil Les Mains libres de Man Ray et Paul Eluard » (1985) [33]
4- « Un livre visionnaire, L’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier » (1985 angl. ; 1987 fr.) [34]
5- « Colette et ses illustrateurs » (1989) [35]
6- « L’illustration » (1986) [36]
7- « Poésie visuelle et livres de peintres » (2001)
8- « De l’illustration comme transgression » (2009)
Dans cet ensemble, deux groupes sont aisément différenciables : le premier (1-5), le plus prolifique, comporte cinq études publiées en une seule décade (1979-1989), confirmant la précocité du thème illustratif dans l’œuvre. Issues de colloques et pour le premier d’un numéro spécial de revue, ces études sont en majorité monographiques et consacrées à des livres illustrés ou, comme préférait les appeler la chercheuse, des « livres doubles » c’est-à-dire associant un écrivain – le plus souvent un poète – et un artiste peintre [37]. C’est le cas des Madrigaux qui associe Dufy à Mallarmé [38], du Voyage d’Urien œuvre en collaboration de Denis et Gide [39], des Mains libres qui consacre la rencontre d’Eluard et Man Ray [40], ou de L’Histoire du roi de Bohème et de ses sept châteaux. Le XXe siècle y est majoritaire (trois textes sur cinq), dans sa première moitié [41]. Deux textes sont consacrés à des œuvres du XIXe siècle datant respectivement de 1830 (Nodier/ Johannot) et 1893 (Gide/Denis). La période que la chercheuse explore dans cette première décade se situe donc entre 1830 et 1930, c’est-à-dire entre l’émergence de l’illustration au sens moderne du terme [42] et l’acmé du livre de luxe et de demi-luxe [43]. Il s’agit principalement d’illustrations d’œuvres poétiques même si le territoire de l’illustration narrative est parfois abordé comme l’attestent l’étude de Nodier et des livres illustrés de Colette, ainsi que les occurrences relevées dans Poétique du blanc qui ouvrent sur une autre période, celle de la Renaissance [44].
Le second groupe (6-8) est constitué de trois textes plus tardifs séparés par 23 années (1986-2009) [45] : ce sont des études théoriques plus générales, issues pour les deux premières de commandes d’ouvrage. Le premier texte, un bref encadré de deux pages intitulé « L’Illustration » publié en 1986 dans l’Histoire de l’édition française, à la suite de l’article de D. Renoult consacré à « La mise en page » [46], constitue un prélude miniature à la conférence de 2009 : la thématique de l’illustration y est traitée en 11 paragraphes d’abord de façon globale (§1-8) puis par des exemples commentés de quelques livres de peintre datant de la fin du XIXe à 1937 (§ 9-11). L’article de 2001 s’étend sur 12 paragraphes et consacre les trois derniers à l’illustration avec des exemples allant de 1828 à 1948. Dans ces deux textes, le livre de bibliophilie et de peintre constitue l’objet principal, dans la lignée des travaux de Fr. Chapon et M. Melot cités en bibliographie. Comparativement, la conférence de 2009 élargit considérablement sa portée : au niveau de la temporalité – elle remonte jusqu’à l’art pariétal –, comme de celui des objets – elle aborde les livres doubles mais aussi le manuscrit illustré ou l’emblème. Elle affiche ainsi une réelle différence par rapport aux textes – pratiques comme théoriques – sur l’illustration qui la précèdent. Elle s’inscrit pourtant dans leur filiation sur un point précis : celui de ses refus méthodologiques.
Un ensemble cohérent dans ses refus
Le parcours des textes consacrés à l’illustration amène en effet à percevoir au moins deux choix méthodiques qui leur sont communs. Premièrement, la méthode suivie est plus qualitative que quantitative. Dans les articles de la première période, les études sont essentiellement monographiques. L’étude intitulée « Colette et ses illustrateurs » constitue une exception notable mais paradoxale : l’article fait référence à quelques « cent quatre-vingt artistes répertoriées par Léon Denlanoë » mais restreint de facto son analyse aux illustrations de Gigi en particulier à trois éditions d’art datées de 1948 et 1950 [47]. En seconde période, les articles théoriques reposent sur quelques exemples qu’elle commente de façon successive en soulignant brièvement leurs caractéristiques. L’essentiel ne gît pas dans le nombre mais dans la singularité des objets abordés. La chercheuse s’intéresse en effet aux œuvres saillantes de l’histoire du livre « de peintre » [48] situées au tournant du XIXe et du XXe siècles : pour certains, le texte n’apparaît pas premier en genèse (Man Ray et Eluard pour Les Mains libres) [49] ; pour d’autres, auteur et illustrateur revendiquent une place équivalente (Le Voyage d’Urien) ; pour les derniers, cités dans les textes de 1986 et 2001, il s’agit de repères constitutifs de l’histoire du livre de peintre (par exemple, Parallèlement, Le Chant des Morts). De ce point de vue, l’étude des illustrations de Colette – au profil davantage académique – constitue un cas à part de la bibliographie.
Seconde remarque : c’est la notion illustration dans sa dimension controversée qui intéresse la chercheuse plus que le genre ou le domaine dans sa généralité [50]. Dans la conscience occidentale, le terme illustration suppose prééminence du texte sur une image dont la seule fonction semble être « d’accompagner » celui-ci [51]. Illustration ou illustrer s’imposent dès lors comme des termes négativement connotés, un pôle repoussoir de la théorie d’Anne-Marie Christin : ils sont mis à distance par les guillemets et des tournures périphrastiques [52] voire remplacés par des expressions jugées plus adéquates : pour illustrateur, A.-M. Christin préfère en 2009 « imagier du texte » (§26), et dans d’autres textes, imagier [53]. Pour illustration, l’alternative terminologique est moins immédiate puisqu’elle exige de passer par une périphrase : « L’image qui s’associe au texte – ne parlons plus d’"illustration" », conclut la chercheuse (§36).
[29] En 1999, on note la parution de l’article « Le texte et l’image », dans un ouvrage consacré à l’illustration (S. Le Men. L’Illustration, essais d’iconographie, Klincksieck, 1999, pp. 21‑38) : mais ce texte d’une dizaine de pages ne comporte que trois occurrences d’un mot de la famille « illustr » dont deux pertinentes situées dans une citation de Barthes (p. 24) et de Descartes (p. 27). Cela ne nous a pas semblé suffisant pour conserver ce texte parmi ceux portant sur l’illustration.
[30] A.-M. Christin, « Poésie visuelle et livres de peintres », dans Histoire de l’écriture, Paris, Flammarion, 2001, pp. 377‑382.
[31] A.-M. Christin, « Images d’un texte : Dufy illustrateur de Mallarmé », op. cit., 1979.
[32] A.-M. Christin, « Un livre double : Le Voyage d’Urien par André Gide et Maurice Denis », Romantisme, vol. 43, 1984, pp. 73‑90.
[33] A.-M. Christin, « Le poète illustrateur », op. cit, 1985.
[34] A.-M. Christin, « Un livre visionnaire, L’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier », dans E. Baumgartner et N. Boulestreau (dir.), La Présentation du livre : actes du colloque de Paris X-Nanterre (4-6 décembre 1985), Nanterre, Centre de recherches du Département de français de Paris X-Nanterre, 1987 (Vol. Littérales, 2). (Première publication en anglais : 1985).
[35] A.-M. Christin, « Colette et ses illustrateurs », op. cit.
[36] A.-M. Christin, « L’illustration », op. cit.
[37] A.-M. Christin, « Un livre double », op. cit. « Du polygramme à l’espace verbal : L’œuvre double de Philippe Clerc », dans S. Linarès (dir.), De la plume au pinceau : écrivains dessinateurs et peintres depuis le romantisme, Valenciennes, CAMELIA, Presses universitaires de Valenciennes, 2007, pp. 387‑403.
[38] A.-M. Christin, « Images d’un texte : Dufy illustrateur de Mallarmé », op. cit.
[39] A.-M. Christin, « Un livre double », op. cit.
[40] A.-M. Christin, « Le poète illustrateur », op. cit.
[41] 1920 pour les Madrigaux, 1937 pour Les Mains libres,et une période comprise entre 1930 et 1950 pour l’étude des illustrations de Colette.
[42] Voir S. Le Men à ce sujet ici même, op. cit.
[43] Sur cette notion, voir la thèse de Camille Barjou, citée dans la note 2 de sa contribution dans ce numéro, et « Colette et ses illustrateurs », op. cit., pp. 173‑174.
[44] A côté des études de livres « doubles », citons les textes consacrés à Philippe Clerc entre 1990 et 2014. La chercheuse s’y éloigne des productions esthétiques caractérisables comme « livre illustré » ou « livre de peintre » et se rapproche des « livres d’artiste » au sens entendu par A. Moeglin-Delcroix, c’est-à-dire datant d’après 1970 et conçus par un seul et même artiste. Elle y interroge de façon élargie le rapport de l’image au texte hors des dogmes établis de l’illustration et de la narration. A ce sujet, nous renvoyons à notre contribution, « Philippe Clerc et Anne-Marie Christin, double et multiple », op. cit., et au cahier proposé par Philippe Clerc dans ce numéro qui intègre un commentaire de la chercheuse.
[45] Une distance probablement plus importante si on se rappelle que la date 1986 est celle de la publication.
[46] A.-M. Christin, « L’illustration. », op. cit.
[47] Dans L’Invention de la figure, un des concepts de l’analyse de Fromentin, la « vision », dont la chercheuse extrait une théorisation, ne repose que sur peu d’exemples comme elle le relève elle-même : « Il y a très peu de « vues » dans le Sahara, je crois même que c’est la seule. » (p. 71). L’approche non quantitative est donc un point de vue méthodiquement assumé.
[48] Nous renvoyons sur ce point à l’analyse produite par Y. Jeanneret sur le refus d’A.-M. Christin de se consacrer à la culture triviale : « L’image écrite, une provocation pour les sciences de la communication » dans Ecritures V : systèmes d’écriture, imaginaire lettré, op. cit., pp. 61-74.
[49] Comme le rappelle Ségolène Le Men dans sa contribution à ce numéro, au XIXe siècle, « l’illustrateur d’un livre commence son travail, lorsque l’auteur l’a terminé ».
[50] « Ce terme ne permettait pas seulement d’identifier un certain type de figure, destiné à accompagner un texte imprimé, il soulignait également le fait que cette image devait avoir un rôle non pas décoratif mais fonctionnel, à la différence du qualificatif de "pittoresque" utilisé alors dans certains titres – Le Magasin pittoresque par exemple – celui d’"illustré" prenait en compte les valeurs d’éclaircissement, d’explication ou de commentaire qui avaient été attachées dès l’origine à cette notion : le magazine L’Illustration a été créé en 1843 dans cet esprit. ») : dans ce passage situé au §25, « un certain type de figure » désigne le genre, à la différence de la notion dont elle parle à la fin de ce paragraphe.
[51] A.-M. Christin, « L’illustration. », op. cit., p. 412.
[52] « Il est impossible à l’heure actuelle d’établir une typologie exhaustive des différentes formes de transgression visuelle auxquelles « l’illustration » (ou ce que l’on a coutume d’appeler ainsi : je reviendrai un peu plus tard sur ce terme) a donné lieu dans la civilisation de l’alphabet. » (§7).
[53] A.-M. Christin, « Colette et ses illustrateurs », op. cit., p. 173; « Poésie visuelle et livres de peintres », dans Histoire de l’écriture, op. cit., 2001, p. 381.