Autoportrait à l’alphabet, 2016 Machine à écrire Torpedo, 2018
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Soudain les mots se dérobèrent.

Lire, écrire, ce quotidien qui était la respiration-même, n’appartenait plus à l’évidence. Au début de l’été 2008, et pour de longs mois, je reçus des traitements, des drogues, qui perturbaient les facultés cognitives. Quelque chose avait basculé. Il fallait survivre, autrement.
Je commençai à tenir un journal photographique, sur mon blog, « Table d’écriture », postant presque chaque jour, une image accompagnée d’un titre et d’une citation brève, de Kafka, Fellini, Nietzsche, Proust, Spinoza ou Madame de Sévigné. Il me fallait agir rapidement. Mon énergie était comptée.
Un an plus tard, en juin 2009, en réponse à la demande d’un quotidien de Clermont-Ferrand, La Montagne, j’ai envoyé une image, « Sous la loupe » (devenue plus tard la couverture du Journal implicite), accompagnée d’un texte pour témoigner de cette récente expérience entre littérature et photographie :

« L’écriture devenue impossible, me vint l’envie de saisir des images. Capter la rosée des sensations, des sentiments, avant son évaporation : non plus avec des mots, mais avec des choses. Les faire surgir d’une lumière, d’une texture, des couleurs ou des formes, du grain de la vie. A ces instantanés, ajouter un titre et une citation. Par l’intermédiaire d’une photographie et de sa légende, tenter de traduire une lamelle de temps et d’espace, un journal de bord implicite.
Semblables aux images de nos rêves, les choses peuvent entrer en conversation, inventer des jeux inédits, absurdes peut-être mais puissants, nous emmener de l’autre côté de l’horizon. Là où le dehors et le dedans se mélangent. Un dialogue commence, ouverture vers l’imagination, l’improbable, le trouble.
N’importe quoi, de petits riens, des objets épars, venus d’un lieu oublié, d’une promenade de jadis, gardés sans savoir pourquoi, retrouvés au hasard d’une poche, d’un tiroir, d’une étagère ou du rebord d’une fenêtre, dans le désordre dérisoire des jours, soudain rassemblés, deviennent surréalistes, beaux  « comme la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection » (Lautréamont).
 Impalpable quotidien. Mises en scène éphémères pour dire des états d’âme, passagers ou insistants, des humeurs à fleur de peau, l’explosion des sens. Rencontres – en apparence – sans conséquences, légères et graves, pudiques et malicieuses.
La vie est là.  Avec ses ombres, ses lumières, ses douceurs, ses douleurs. Ne pas les séparer, accepter la violence de leurs oppositions. Les accueillir telles quelles; puis les offrir, après métamorphose. Comment dire ce qui ne peut être dit ? Comment saisir ce qui échappe et oser ne pas s’y dérober ? Chercher à transformer la souffrance en beauté.

Ce jour-là, c’était au début de l’hiver, il me semblait vivre toutes mes émotions sous la loupe. Prisonnière de quelque gigantesque microscope, agrandie indéfiniment sous un zoom impossible à refermer. J’errais chez moi, le regard flottant à la recherche de quelques objets qui unis en une composition encore inconnue, pourraient dire ce que je ne pouvais ni taire ni exprimer. J’écoutais la chanson de Damien Rice : « It’s not that we’re scared. It’s just that it’s delicate ». « Ce n’est pas que nous soyons effarouchés, c’est seulement que c’est délicat… ».

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