Les Dessins marginaux du manuscrit
Douce 360 (Le Roman de Renart)
de la Bibliothèque Bodléienne

- Kenneth Varty
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Fig. 1. Le Convoi funèbre


Fig. 2. L’Enterrement de Coupée

 

A Janine et Gabriel Bianciotto

 

       Le manuscrit Douce 360 de la Bibliothèque Bodléienne à Oxford a été écrit en 1339 comme l’indique le post-scriptum du folio 167v° :

 

L’an mil CCCC et trente nuef
Ffu ce livre acompli tout nuef
D’escripture ou il ot grant peine
Tout droit devant la Magdalaine
Le vendredi.

 

L’histoire de sa conservation ne remonte pas au-delà du XVIIIe siècle. Le manuscrit a autrefois appartenu à la collection du Duc de La Vallière (cote n°2717). Une note inscrite au verso d’un feuillet de garde indique qu’il a été vendu en 1823 et qu’il entre alors dans la collection de Charles-Gilbert, Vicomte de Morel-Vindé (cote n°1376). Il est enfin acheté par Francis Douce. En 1834, à sa mort, sa collection est léguée à la Bibliothèque Bodléienne.
       Dans les marges inférieures des dix premiers folios du manuscrit Douce 360, se trouve une série insolite de onze dessins qui illustrent plusieurs épisodes de l’histoire du « Jugement de Renart » (Branche Ia du Roman de Renart). Ces dessins marginaux ont été ajoutés beaucoup plus tard, peut-être entre cent et deux cent ans après la rédaction du manuscrit. Les seize miniatures réalisées en 1339 à l’ouverture de certaines branches sont en couleurs ; les onze dessins marginaux présents sur les dix premiers folios sont à l’encre brune et au lavis brun ; quelques uns sont un peu fanés et un peu estompés. Ils sont d’un style simple, voire enfantin.

       Cette série commence au folio 3 avec le dessin d’un cheval sellé (fig. 1) qui, placé derrière un coq, tire une charrette. On devine que, dans cette charrette, sous un ample drap, se trouve une bière sur laquelle est couché le corps mutilé d’une poule. Le dessin illustre donc le récit de la mort et de l’enterrement de Coupée comme le laissent entendre les vers 2 à 10 de la première colonne de ce folio :

 

Or est li feus griez a estaindre
Car sire Chanteriaus li cos
Et Pinte qui pont les hues gros
Et Noire et Blanche et Roussete
Amenoient une charrete.
Envoussee d’une courtine.
Dedens gesoit une geline
Que l’en amenoit en litiere
Autressi faite comme biere.

 

« Maintenant, il va être difficile d’éteindre l’incendie car sire Chantecler le coq ainsi que Pinte, la poule qui pond les gros oeufs, et Noire, et Blanche, et Roussette amenaient une charrette enveloppée de rideaux. Une poule repose à l’intérieur, amenée sur une litière aménagée en cercueil » [1]. 

 

       L’« artiste » a simplifié l’histoire : seul Chantecler guide le convoi funèbre, aucune poule n’est présente à ses côtés et la litière où repose le corps de Coupée est tirée par un cheval. Dans la tradition des illustrations du Roman de Renart, seul le manuscrit I représente la scène du convoi funèbre. Au folio 4r°, une poule et un coq guident une charrette funéraire à deux roues où gît une seconde poule. Aucun cheval ne figure sur la miniature. Dans les livres imprimés, des incunables aux textes modernes, suivant la longue tradition du Wynkyn de Worde (c. 1495), la bière est également tirée par un coq.
       L’artiste qui a dessiné ces marges connaissait peut-être les gravures sur bois de Wynkyn de Worde : l’illustration qui précède immédiatement celle du convoi de Coupée montre une charrette tirée par un cheval [2].

       Le deuxième dessin (fig. 2) se trouve au centre de la marge inférieure du folio 3v°. Deux animaux debout portent entre eux une bière sur laquelle, sans doute, dissimulé sous un drap, se trouve à nouveau le corps de Coupée. Les brancards de la bière sont portés sur les épaules des deux animaux, un ours (?) devant et un taureau (?) derrière. Ici l’artiste illustre le texte qui commence au vers 15 de la deuxième colonne :

 

Le corps porterent enterrer

 

>suite
[1] Le manuscrit D est aujourd’hui inédit mais le texte est très semblable à celui du manuscrit A édité et traduit par J. Dufournet et A. Méline, Le Roman de Renart, Paris, Flammarion, G-F-Flammarion, p. 57.
[2] Le bois gravé est reproduit dans Reynard, Renart, Reinaert and other Foxes in Medieval England, Amsterdam, Amsterdam University Presse, 1999, p. 100, illustration 60.