Résumé
 Cet article donne un bref aperçu du genre  spécifique des « portraits de pays » (tels que définis par David  Martens et Anne Reverseau) dans la littérature jeunesse hongroise illustrée par  des photos. Cet aperçu historique montre les changements qui se sont produits  dans le statut de l'image, utilisée comme fond d'illustration de l'histoire au  début du XXe siècle, jusqu'à sa réutilisation et sa modification constantes  dans la culture contemporaine du remix. Même si ce qui semble constant et  inchangé est le rôle éducatif assigné à l'image photographique, sa valeur  documentaire est particulièrement appropriée pour diffuser des connaissances  sur les spécificités et le patrimoine culturels. Bien que ce genre spécifique de  « portraits de pays » démontre également que l'assemblage icono-textuel  est toujours subordonné au message idéologique caché de son époque.
  Mots-clés : portrait de ville,  Budapest, revue Pajtás, culture remix, post-photographie, voyage, site  touristique, parabole idéologique, relation texte-image
 
 Abstract
 This paper gives a short overview of the specific  genre of “country portraits” (as defiened by David Martens and Anne Reverseau)  in Hungarian photoillustrated youth literature. This historical oriented  overview shows the changes that occurred in the status of the image, employed  as illustrative background for the story in the beginning of the 20th century  to its constant reuse and modification in contemporary remix culture. Even  though what seems constant and unchanged is the educational role assigned to  the photographic image, its documentary value is particularly appropriate to  diffuse knowledge on cultural specificities and heritage. Although this  specific genre of “country portraits” demonstrate as well that the  icono-textual assemblage is always subordinated to the hidden ideological  message of its time.
 Keywords: City portrait, Budapest, journal Pajtás, remix  culture, post-photography, travel, touristic site, ideological parable,  text-picture relation
  
 
  
 
 Selon les  recherches menées le nombre d’ouvrages entrant dans la catégorie des portraits  de pays pour la jeunesse est très restreint dans la littérature hongroise. Aucun éditeur ne s’est spécialisé dans la  publication d’ouvrages photolittéraires pour les enfants et nous ne trouvons  pas non plus de collection comprenant des photographies dites « humanistes »  qui dans le climat d’après-guerre avaient pour objectif de montrer aux enfants l’unité de l’être humain  au-delà des frontières et des diversités apparentes [1].
 Les premiers ouvrages pouvant  toutefois entrer dans cette catégorie datent du début du  XXe siècle et prennent la forme de récits  de voyages illustrés par les clichés pris par des voyageurs  photographes. Ces livres sont similaires aux récits de voyages pour adulte,  mais le texte destiné au jeune public met l’accent sur les aventures et les  descriptions pittoresques des voyages. Dans ces ouvrages, les photographies  sont complétées par des dessins, ces derniers illustrent les scènes d’action,  tandis que les premières servent à placer l’intrigue dans un décor exotique et à montrer le paysage de  terres lointaines si distinctes de celui du lecteur qu’il aurait du mal à  l’imaginer (fig. 1).
    Nous y  retrouvons le souci de sensibiliser les jeunes lecteurs aux autres cultures et  autres langues et l’objectif de favoriser la reconnaissance de la diversité.  Les récits prennent souvent la forme d’un journal de bord d’un voyage selon la  tradition du Tour en Europe. Dans certains livres le mot « image » apparaît dans le titre  comme « Images de Sibérie » de Géza Földes [2] ou « Du Sud de l’Europe – images  géographiques et ethnographiques » d’István Hanusz [3].  Toutefois la désignation « image d’un pays ou d’une région » renvoie  plus à la description minutieuse qu’à l’insertion d’images réelles.
 Le  secrétaire d’Etat du Ministère de l’éducation, Imre Neményi, qui est  l’introducteur et l’organisateur des bibliothèques d’école en Hongrie, fait paraître un livre sur la littérature jeunesse  en 1902 [4] dans  lequel il soutient l’idée que la fonction première des ouvrages jeunesse est  leur rôle pédagogique. Il consacre un chapitre entier sur l’utilité de l’image  et valorise sa fonction illustrative et démonstrative qui devrait  « éclairer le texte, pour en quelque sorte l’expliquer et créer une  ambiance » [5]. Il ne  mentionne pas l’illustration par la photographie pourtant  cette dernière pourrait satisfaire la visée pédagogique grâce à sa fonction  référentielle et dénotative, il déplore plutôt le manque de peintres qui  mettraient leur talent au service de l’illustration des ouvrages. Il critique  également la pratique – qui selon Neményi est assez courante au tournant du  siècle – d’utiliser des illustrations provenant de livres étrangers sans  chercher à faire coïncider le texte avec les images.
 Du point  de vue historique, 1945 fut une date charnière dans l’histoire des  maisons d’édition en Hongrie [6]. La  Deuxième Guerre mondiale et le fait que la Hongrie sorte vaincue de la guerre et soit rattachée au bloc  soviétique, changent la palette des publications. Les maisons d’édition comme  Atheaneum, ou Singer et Wolfner qui dirigeaient des collections destinées à la  jeunesse dans lesquelles parurent les ouvrages précédemment mentionnés ont été  réquisitionnées par l’Etat. Tout le secteur de l’édition et de l’imprimerie fut  centralisé et fortement censuré.
 En 1948  fut créé l’Ifjúsági Könyvkiadó (maison d’édition pour la jeunesse) en Transylvanie  et en 1950 la maison d’édition Móra Ferenc à  Budapest,  spécialisée dans la  littérature destinée à la jeunesse [7]. De cette période entre 1945 et 1989 je n’ai pas trouvé de  livres illustrés par la photographie qui entrerait dans la catégorie de portraits  de pays [8].  De cette période date une revue destinée à la  jeunesse où l’utilisation de la photographie va devenir emblématique, il s’agit de la revue Pajtás [9] (Camarade), l’organe central de l’association  des pionniers hongrois pour instruire et éduquer les enfants suivant  l’idéologie communiste. La  revue est illustrée de dessins jusqu’en 1964, année au cours de laquelle elle connaît un tournant  radical avec le recours à l’illustration photographique. Parmi  les thèmes récurrents on trouve des comptes-rendus d’évènements sportifs, de  camps des pionniers, de rencontres amicales dans d’autres pays et plus rarement  des comptes-rendus de voyages qui sont souvent une combinaison de reportages,  de portrait de ville ou de région. Dans le  corpus étudié [10] réapparait périodiquement le genre du portrait  de pays, sous forme de série d’une ou deux pages, présentant quelques images, un texte, combiné ou non avec des dessins. L’histoire  est le plus  souvent relatée à la première personne du singulier  sans qu’aucune précision ne soit donnée sur l’identité  du narrateur. L’utilisation de la première personne du  singulier procure un effet de véracité, comme s’il s’agissait d’une histoire  vécue et facilite l’entrée dans l’histoire et l’identification du lecteur avec  le narrateur.
  
     
    
 
 [1] Ainsi en France  en 1948, Paul Faucher initie la collection « Enfants de la Terre » aux  Albums du Père Castor, tandis que chez Nathan entre 1952 et 1975 paraît la  collection « Enfants du Monde » avec pour la majorité des  photographies de Dominique Darbois. Voir Laurence Le Guen, « Abolir les frontières en littérature  jeunesse : la tentative des albums photographiques des années 1950 à  travers l’exemple d’Horoldamba le petit Mongol », Strenæ, n° 11, 2016 (en ligne. Consulté le 26  juillet 2022). Je remercie Biró Dániel, l’auteur  de la base des données hongroise Elbida Projekt (en ligne. Consulté le 26 juillet  2022) recensant les ouvrages  anciens de littérature de voyage, pour son aide dans la recherche de portraits  de pays photolittéraire pour la jeunesse.
[2] Géza Földes, Szibériai képek [Images de Sibérie], Budapest, Lampel R.  Könyvkereskedése (Wodianer F. és Fiai Részvénytársaság), 1904.
[3] István Hanusz, Déleurópából  föld – és néprajzi képek [Du Sud de l’Europe – images géographiques et  ethnographiques], Pozsony, Budapest, Stampfel, 1896.
[4] Imre  Neményi, Ifjúsági könyvtárak és ifjúsági  olvasmányok a nevelés szolgálatában [Bibliothèques jeunesse et lectures  jeunesse au service de l’éducation], Budapest, Lampert Róbert, 1902.
[5] Ibid. p. 288.
[6] György Kókay, A könyvkereskedelem Magyarországon [Le secteur du livre en Hongrie], Budapest, Balassi K., 1997 (en ligne. Consulté le 26 juillet 2022).
[7] Ibid., p. 89. Voir également la page d’introduction de l’éditeur (en ligne. Consulté le 26 juillet 2022).
[8] Il faut noter que dans  aucun des deux maisons d’édition l’utilisation de la photo comme illustration  n’était promue à l’encontre de la peinture et le graphisme. Ces deux derniers  étaient d’autant plus favorisés car il s’agissait d’une échappatoire pour les  peintres de l’Ecole d’Europe, dont l’art abstrait était méprisé par le parti  communiste, car signe du goût de la bourgeoisie et de la détérioration des  valeurs occidentales.
[9] La revue  parue de 1946 jusqu’au  changement de régime en 1989.
[10] Dans les  années 1970 un changement de profil s’opère dans l’édition de la  revue, les pages en noir et  blanc donnent progressivement place aux pages en couleur et cette série de  portraits de pays idéologique ne figurent plus dans les numéros suivants.