Portraits de pays en collection pour
la jeunesse dans le fonds du CRILJ

- Florence Gaiotti et Eléonore Hamaide-Jager
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Fig. 12. Al. Gioanni, Hannah, enfant d’Alger, 2005

          

Fig. 13a, 13b et 13c. Al. Gioanni, Hannah, enfant
d’Alger
, 2005


Fig. 14. Al. Gioanni, Hannah, enfant d’Alger, 2005

Fig. 15. Al. Gioanni, Hannah, enfant d’Alger, 2005

On pourrait pour conclure se demander ce qui fait de cet ouvrage une production spécifiquement adressée à la jeunesse, si ce n’est son inscription dans une collection particulière. La photographie de première de couverture, qui met en avant un groupe d’adolescents à la sortie d’un collège ou d’un lycée peut être un signe. Elle met aussi en avant une jeunesse nombreuse, mixte, en mouvement. Cependant, contrairement à d’autres collections, l’enfant ou l’adolescent n’est pas un guide privilégié du pays présenté et la jeunesse n’occupe pas une place spécifique dans les approches culturelles ou démographiques alors que ce sont des pays où la croissance démographique est conséquente. Et si l’on peut relever quelques marques énonciatives particulières sous la forme d’adresses au lecteur qui constituent souvent des spécificités de la production pour la jeunesse [23], l’ouvrage cherche à présenter le portrait des trois pays à un « vous » qui ne fait pas le partage entre un lectorat adulte et un jeune lectorat qui est pris ici très au sérieux. Seul peut-être le titre de la collection « Questions/réponses » suggère la présence d’une instance qui sait et d’un questionneur, le jeune lecteur curieux du monde, qu’il s’agit d’instruire.

 

La collection « Enfants du monde » chez PEMF : l’album de famille au détriment du portrait de pays ?

 

La collection « Enfants du monde » est riche de vingt-six titres. Elle présente en couverture un enfant, souvent un garçon, devant un paysage. La plupart du temps, les titres incluent le nom d’un pays, parfois d’une ville, mais proposent aussi des entrées par une ethnie comme les Masaïs qui habitent dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Est, comme les Hmong-Fleur répartis dans de vastes espaces au Vietnam, en Chine et au Laos… ou les Touaregs, peuple nomade du Sahara.

L’organisation générale de l’ouvrage n’est pas nette, le sommaire ne permet pas de comprendre la déambulation proposée, les entrées s’étendant sur deux ou trois pages. En revanche, elles sont toutes largement illustrées de photographies. Dans Hannah, enfant d’Alger, on observe une alternance entre des lieux de la ville « De la casbah vers Bab el Oued » et des entrées plus tournées vers la fillette comme « à la maison » qui revient deux fois ou « demain l’école ». Les photographies sont créditées à Alain Gioanni pour le titre du fonds du CRILJ, beaucoup sont de Jean-Charles Rey, assurant une cohérence entre les titres. Le nom de l’auteur du texte n’est jamais mentionné, laissant toute la place aux images.

Le documentaire s’ouvre sur un planisphère situant le pays sur la carte du monde puis un zoom permet de situer les pays limitrophes, y compris un petit morceau d’Espagne et de repérer quelques grandes villes de l’Algérie ainsi que les capitales des pays du Maghreb (fig. 12). Ces deux échelles de cartes sont complétées par une carte d’identité du pays, s’arrêtant sur cinq des langues parlées dans le pays, la religion dominante, le régime politique et les ressources économiques.

Les photographies, en grand nombre, représentent des paysages, des habitations, des plats, des cahiers : vingt-quatre photographies sans Hannah et dix-neuf avec elle. Le lecteur adulte sera frappé par le choix des images voire des cadrages qui donnent l’impression de feuilleter un album de famille (fig. 13 a, b et c). Les photographies ne cherchent pas du tout à esthétiser le lieu, c’est encore plus flagrant lorsqu’Hannah est prise en photographie : si parfois elle pose comme elle pourrait le faire avec des familiers, certaines images la montrent dans des situations où elle ne regarde pas l’objectif, comme si les photographies étaient prises sur le vif et que le photographe était oublié.

La plupart des photographies sont légendées et apportent de précieuses informations qui peuvent être culturelles, voire linguistiques, comme le nom du pain algérien, le nom du voile porté par les femmes algéroises, les noms arabes de certains lieux, confirmant cette idée « de générer et d’entretenir l’attirance pour des lieux » [24], propre aux portraits de pays définis par David Martens. Néanmoins, ces légendes sont surtout l’occasion d’informations sur Hannah : les repas qu’elle prend, les fruits qu’elle aime, les membres de sa famille. Le texte énumère un certain nombre de noms de lieux, mais aucune carte de la ville ne permet d’avoir une idée précise de la distance entre les lieux ou de leur configuration, la narration privilégiant plutôt la description de la déambulation de la fillette. Le texte ou l’image peuvent mettre en évidence un élément lié à l’histoire du pays, mais c’est souvent au lecteur qu’il revient de faire des liens, rarement explicités : ainsi, s’il est bien question des dominations turques ou françaises, de l’indépendance algérienne et du mémorial du martyr devant lequel pose la fillette, il n’est jamais fait directement mention de la décolonisation, des liens du pays avec la France notamment. On sait qu’Hannah écrit soit en arabe soit en français mais sans qu’aucune explication à hauteur d’enfant ne soit tentée.

Le manque de lisibilité dans le parcours que l’ouvrage propose dessert ce livre fourre-tout car les informations ne sont pas suffisamment structurées pour être retenues. Pourtant, l’ouvrage ne manque pas d’intérêt tant dans le texte que dans les photographies pour qui sait lire entre les lignes : le manque d’infrastructures pour l’entretien du pays, provoquant inondations et manque de logement dans la capitale, la pollution des plages apparaissent en filigrane. La photographie de trois fillettes mériterait d’être commentée, l’une avec voile et cafetan, Hannah en jean et une épaule dénudée et une autre fillette en short (fig. 14). La configuration familiale et le travail des adultes gagneraient à être développés, tout comme le fonctionnement de l’école tant les informations données semblent contradictoires : sur une des photographies, le maître s’adresse à un enfant et tous les autres attendent sans matériel éducatif, l’opposition entre l’école obligatoire jusque 16 ans et le fait que seuls 34 % des enfants finissent l’équivalent du collège. Le livre de classe est ouvert à la page du mémorial du martyr avec des soldats en arrière-plan dans une illustration assez stylisée, qui nécessiterait un commentaire pour sa dimension politique (fig. 15).

Il revient au lecteur de faire une synthèse pourtant difficile à réaliser. Trop d’éléments échappent pour que soit prise en charge la complexité du pays que par ailleurs, les auteurs ne cherchent pas enjoliver. On peut enfin noter que ce n’est pas vraiment le pays qui est montré mais la capitale, à travers quelques lieux seulement.  Peut-on parler alors de portrait de pays ? Ce sont des cartes postales du quotidien d’une enfant de la capitale qui sont déroulées plus qu’un portrait de pays.

 

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[23] Par exemple en p. 18 : « Aujourd’hui les Maghrébins sont musulmans à 99%. Vous pourrez creuser un peu plus cette question p. 60 ».
[24] David Martens, « Qu’est-ce que le portrait de pays ? Esquisse d’un genre mineur », art. cit., p. 248.