Portraits de pays en collection pour
la jeunesse dans le fonds du CRILJ

- Florence Gaiotti et Eléonore Hamaide-Jager
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Fig. 11. M. Moktefi, Maroc, Algérie, Tunisie,
Les Pays du Maghreb
, 1992

Les ouvrages couvrent un champ très vaste de connaissances, apportant des informations sur l’histoire du pays, sur certaines traditions ancestrales et croyances, au-delà de la géographie physique. L’histoire du pays est centrale : il est ainsi largement question de l’esclavage voire de l’extermination qu’ont subie les habitants de l’île de Pâques. Les auteurs n’hésitent pas à évoquer les conflits qui existent sur les lieux et parlent ouvertement de la mort, sans néanmoins émettre de jugement de valeurs.

Ces documentaires sont donc très vivants et donnent finalement une image très variée du pays dans sa diversité géographique, ethnique, culinaire, culturelle. En proposant une déambulation, en laissant à chaque auteur la possibilité de s’ouvrir sur l’un ou l’autre aspect du pays, l’unité de la collection est néanmoins conservée par la maquette et la volonté de placer l’enfant du pays au cœur des photos et du récit, même si c’est parfois de manière un peu artificielle. Plusieurs de ces enfants découvrent eux-mêmes leur propre pays grâce à ces explorateurs étrangers et vivent une expérience particulière dont rend compte le livre. Plus de la moitié des images donnent à voir l’enfant, y compris dans sa participation aux expériences de l’équipe.

 

Un portrait historique et géo-politique des pays du Maghreb [15]

 

L’ouvrage de Mokhtar Mokteli, paru chez Nathan en 1992, peut faire figure d’hapax au sein d’une collection qui n’est pas seulement centrée sur les présentations de pays. La collection Questions/réponses junior lancé par Daniel Sassier en 1989 aborde en effet des sujets de sciences ou encore d’histoire. Toutefois, la collection qui existe encore s’est progressivement élargie à d’autres lectorats (notamment les plus jeunes, voire tout jeunes lecteurs) et a intégré la présentation de territoires, notamment la France, l’Europe ou encore l’Egypte [16]. Il nous a paru intéressant de mettre en évidence cet ouvrage et cette collection qui empruntent à l’une des formes anciennes du documentaire à destination des jeunes lecteurs, comme l’atteste par exemple le titre d’Emile Desbeaux, Les Pourquoi de Mademoiselle Suzanne (1881, Paul Ducrocq éd.) : à partir d’une fictionnalisation minimale, cet ouvrage de 1881 déclinait questions et réponses sur divers phénomènes météorologiques ou physiologiques en lien avec la vulgarisation des sciences de l’époque. Par ailleurs, Daniel Sassier est l’un des premiers à avoir repris en France le modèle anglo-saxon de Dorling Kindersley dans la mise en forme des ouvrages documentaires, modèle développé ensuite chez Gallimard, notamment pour la collection Les Yeux de la découverte et qui s’impose à partir des années 1990 comme la présentation canonique du documentaire. De fait, la collection chez Nathan s’affiche comme un documentaire pourvu d’un sommaire et d’un index mais aussi d’une organisation en doubles pages, amplement et diversement illustrées.

Mokhtar Moktefi dont le nom apparait sur la première de couverture de ce volume est présenté comme un chercheur algérien, spécialiste, de sciences économiques et de droit. Il a participé à la réalisation d’autres ouvrages pour la jeunesse sur le monde arabe qui peuvent s’apparenter à des portraits de pays, notamment chez Hachette [17]. La première de garde présente une carte de type topographique qui permet de situer les trois pays par rapport aux espaces environnants : Afrique Subsaharienne, Sud de l’Europe, espace méditerranéen, côte Atlantique. Elle met aussi en évidence les espaces géographiques communs et leur continuité au-delà des frontières (montagnes, désert). De nombreuses villes dont il sera question dans l’ouvrage sont inscrites sur la carte qui apparait alors comme un véritable outil de saisie des territoires dans leur totalité.

Le sommaire permet d’appréhender le principe d’ensemble de l’ouvrage qui s’organise autour de quarante-neuf questions réparties tantôt sur une page, tantôt sur une double page. Les deux premières questions portent sur la géographie des trois pays, puis trente questions abordent des sujets d’histoires (depuis les premiers habitants du Maghreb, jusqu’à l’indépendance des trois pays), dix-sept questions traitent de sujets contemporains, économiques, religieux et culturels. La variété des questions atteste de la diversité des perspectives et de la volonté d’aborder tous les sujets [18].

La volonté d’exhaustivité se retrouve aussi dans la circulation au sein de l’ouvrage. En effet, sur chaque page, on trouve a minima un texte informatif assez conséquent, une à trois illustrations légendées, parfois un pavé apportant une précision et toujours un encart sur fond gris qui renvoie pour plus de précision à une autre page de l’ouvrage (fig. 11). Ainsi, la lecture suggérée n’est pas forcément que linéaire ; elle peut prendre la forme d’une déambulation non seulement dans la page, mais aussi dans le livre. Par ailleurs, la variation du texte et surtout du nombre et de l’emplacement des illustrations au sein des pages et des doubles pages évite l’impression d’une forme figée.

Toutes les illustrations sont des photographies de grande qualité [19] qui ont bien pour fonction, comme le rappelle David Martens, « de proposer un échantillonnage de paysages, de réalisations architecturales et de types humains représentatifs de l’entité historique, géographique et sociale portraiturée » [20]. En couleur essentiellement, certaines font la part belle à des monuments anciens qui viennent compléter justement les informations données dans le texte, à des cartes anciennes ou à des œuvres d’art. Mais une majorité de photographies rendent compte de paysages et d’espaces contemporains dans lesquels les hommes sont présents, inscrits dans leur environnement, saisis dans leurs activités. On peut également noter la volonté de rendre compte de la diversité de la population des trois pays : population arabe, kabyle et berbère, hommes et femmes, adultes et enfants, voire population d’origine maghrébine qui ont fait le choix de l’émigration en Europe.

Si, comme le dit David Martens, « la finalité du portrait de pays est en effet de "rendre présente" une entité territoriale, de façon globale ou par la mise en exergue de certains de ses caractères particuliers » [21], cet ouvrage relève bien du portrait de pays, tant par le nombre conséquent d’informations historiques, que par les photographies, qui même si elles illustrent parfois des entrées historiques, rendent également compte d’un monde contemporain de l’écriture de l’ouvrage et donnent à voir dans un geste de monstration les différentes réalités du pays, de l’homme dans son environnement humain, architectural, géographique. Le très grand nombre de photographies parvient tout à la fois à créer une déambulation dans les territoires évoqués, mais permet aussi de construire une représentation riche des espaces donnés à voir, dans leur diversité sans tomber dans la seule image touristique : paysages désertiques du Sahara, ruelles de Tlemcen, médersa Bou-Inania de Fès, site archéologique de Tipaza, mais aussi sites industriels ou portuaires comme celui de Casablanca ou puits de pétrole en Algérie.

Enfin, ce portrait de pays – car il nous semble que pour les raisons exposées ci-dessus, on peut parler de portrait de pays – très exhaustif, cherche à aborder les questions politiques sans simplifier les situations historiques. Il avait d’ailleurs été salué l’année de sa sortie dans un compte-rendu de La Revue des livres pour enfants comme un ouvrage « qui comble heureusement un vide éditorial depuis la fin de la colonisation » [22]. Même si l’article souligne certains manques, il salue la volonté de rendre compte de la colonisation en des termes nouveaux, d’aborder la guerre d’Algérie et ses conséquences, de lier le politique, l’économique et le social de manière assez complexe et inédite dans un ouvrage destiné à un public de jeunes adolescents.

 

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[15] Mokhtar Moktefi, Maroc, Algérie, Tunisie, Les Pays du Maghreb, Nathan, « Questions/réponses Junior », 1992.
[16] La France, Questions/réponses, Nathan, 2014 (à partir de 7 ans) ; La France, Questions/réponses, Nathan, 2017 (à partir de 5 ans). L’Europe, Questions/réponses, Nathan, 2012 (à partir de 10 ans) ; L’Egypte, Questions/réponses, Nathan, 2012 (4/6 ans). On peut noter que ces présentations de pays s’adressent à des lecteurs de plus en plus jeunes.
[17] Mokhtar Mokefti, Yann de Renti, L’Egypte au présent. Des oasis du désert aux rues surpeuplées du Caire, « La vie des pays du monde », Hachette, 1989.
[18] Par exemple : « Les pays du Maghreb se ressemblent-ils ? / Pourquoi les phéniciens ont fondé Carthage ? / Les Maghrébins ont-ils de nombreux contacts avec l’Afrique Noire ? / Pourquoi les français ont conquis l’Algérie et la Tunisie ? / Quelles sont les principales richesses des pays du Maghreb ? / Tunisiens, Algériens, Marocains vivent-Ils de la même façon ? / La cuisine du Maghreb est-elle l’une des meilleures du monde ?
[19] En fin d’ouvrage, le nom des photographes et des agences (Gamma, Magnum, Hoa-Qui) sont indiqués ainsi que le nom du responsable de la recherche iconographique.
[20] David Martens, « Qu’est-ce que le portrait de pays ? Esquisse d’un genre mineur », art. cit., p. 263.
[21] Ibid, p. 254.
[22] La Revue des livres pour enfants, 146, 1992, pp. 19-20.