L’exégèse par les animaux - Baptiste Decorps A propos de l’ouvrage : Rémy Cordonnier, L’iconographie du Bestiaire divin |
Le Bestiaire divin de Guillaume le clerc de Normandie est le huitième titre à rejoindre la belle collection du Corpus du RILMA (Répertoire Iconographique de la Littérature du Moyen Age), dirigée par Christian Heck. Le principe de ces éditions est de présenter, reproduire et commenter « les cycles d’illustrations des œuvres de la littérature du Moyen Age [1]. » En introduisant ce texte dans la collection, Rémy Cordonnier prolonge ses travaux sur la zoographie médiévale débutés avec sa thèse sur le De Avibus d’Hugues de Fouilloy [2] et poursuivis par une série d’articles et d’essais publiés seul ou en collaboration, notamment avec Christian Heck [3].
L’ouvrage est composé de deux parties : une première, « Les derniers feux du Bestiaire : le poème moral d’un clerc de cour » expose les enjeux de l’œuvre en la recontextualisant et la seconde, « Le cycle iconographique », décrit et analyse les enluminures présentes dans l’un des manuscrits qui conserve le Bestiaire divin, le BNF, fr. 14969.
Dans un premier temps, Rémy Cordonnier rappelle les éléments biographiques dont nous disposons à propos de Guillaume le clerc de Normandie, auteur dont on ne sait que ce qu’il dit de lui-même : c’est un clerc laïc, c’est-à-dire un lettré, qui vit du mécénat des puissants et qui a certainement vécu en Angleterre au XIIIe siècle. Il est l’auteur de six œuvres : outre le Bestiaire divin, il a rédigé Le Besant de Dieu, Les treis motz, une Vie de Tobie, une Vie de Madeleine et des Joies de Notre Dame.
Rémy Cordonnier présente ensuite l’œuvre, composée d’une préface de 36 vers, d’un prologue de 99 vers et de 39 chapitres. Le texte s’inscrit dans le mouvement de « mise en roman » des textes antiques commencé au XIIe siècle puisqu’il s’agit d’une adaptation du Bestiarium latinum, œuvre qui repose sur la compilation d’extraits des Etymologies d’Isidore de Séville ajoutés à des chapitres du Physiologus latinus, traduction latine du Physiologos grec. Après avoir rappelé le principe didactique de cette tradition littéraire, l’auteur indique que Guillaume a lui-même ajouté les deux derniers chapitres du Bestiaire divin à partir de sermons de Maurice de Sully. Il termine en rappelant l’existence d’un Bestiaire rédigé par Philippe de Thaün un siècle avant celui de Guillaume mais l’absence d’une étude comparative ne permet pas de dire si Guillaume s’est inspiré de son prédécesseur.
Rémy Cordonnier présente ensuite le manuscrit retenu, conservé à la BnF sous la cote fr. 14969, pour en exposer le cycle iconographique : il évoque dans un second temps seulement les autres manuscrits enluminés. L’analyse stylistique des enluminures est réalisée par Nigel Morgan, professeur d’histoire de l’art à Cambridge, et offre de stimulantes conclusions puisqu’elle permet de dater le manuscrit du troisième quart du XIIIe siècle (vers 1265-1270), de rapprocher l’artiste de l’enlumineur de l’Apocalypse Lambeth réalisé entre 1264 et 1267 et d’émettre l’hypothèse, grâce à la récurrence de figures franciscaines, que les commanditaires ou artistes ont suivi l’instruction des franciscains. L’auteur expose ensuite le fonctionnement iconographique du manuscrit : chaque chapitre est accompagné de deux miniatures, l’une représente l’animal et l’autre l’interprétation allégorique. Cette binarité explicite la double source du texte médiéval : les Etymologies pour les caractéristiques zoologiques et le Bestiarium pour l’allégorie. Rémy Cordonnier précise immédiatement que « l’enlumineur a réellement fait acte d’illustrateur » (p. 30). Il n’y aurait alors pas une pensée propre de l’image, l’enlumineur ne développerait pas une seconde réflexion à travers les images (poursuivant ou infléchissant celle du texte). Il souligne également l’importance du motif de la Gueule des Enfers, qui traduirait une crainte du Jugement dernier au service d’une critique sociale.