En étudiant les Scènes de la vie privée et publique des animaux, Marie-Eve Thérenty observe le travail des auteurs, de l’illustrateur et de l’éditeur en cherchant à savoir qui dirige vraiment le projet éditorial. Elle observe d’abord que c’est l’éditeur, Hetzel, qui propose aux auteurs un animal. C’est encore Hetzel qui nomme l’illustrateur, Grandville, et le dirige plus ou moins ; c’est toujours Hetzel qui impose aux auteurs le dispositif énonciatif de leur texte et c’est à nouveau Hetzel qui ordonne de donner une dimension satirique aux textes. En somme, « l’éditeur contrôle tout le processus scénographique du volume » (p. 254). L’étude de la correspondance de l’éditeur permet également à l’autrice de voir qu’il semble exister une certaine connivence entre l’éditeur et l’illustrateur visant à « désacraliser la fonction-auteur » (p. 256). Elle poursuit son enquête en étudiant la façon dont les Scènes de la vie privée et publique des animaux elles-mêmes manifestent ce conflit et remarque qu’il « s’agit sous forme d’une fiction de mettre en scène un fantasme éditorial : la mise en cage des écrivains » (p. 258). Face à cela, l’autrice observe les stratégies mises en place par Balzac pour annexer en quelques sortes ces Scènes à la Comédie Humaine et ré-asseoir son autorité d’auteur. Le dernier temps de l’étude remarque qu’une édition ultérieure des Scènes de la vie privée et publique des animaux, de 1867, suit un nouveau dispositif : Grandville étant mort, Hetzel fournit les images à un auteur, Gustave Droz, qui doit inventer un texte ekphrastique à partir d’elles. Paradoxalement, c’est après sa mort que Granville devient le véritable maître d’œuvre des Scènes et l’éditeur ne conserve jamais totalement l’autorité sur son ouvrage.

Marie-Astrid Chevalier étudie pour sa part les illustrations réalisées par Léon Benett pour accompagner Le Château des Carpathes de Jules Verne, un roman qui repose sur le trouble entre existence réelle et existence supposée voire fantasmée du château. L’autrice note que les illustrations ajoutent du doute là où il est absent du texte vernien. S’il est indiscutable, dans le texte, que le château existe, les illustrations tendent à lui conférer un statut beaucoup plus énigmatique. Il s’agirait en fait de montrer au lecteur-spectateur le pouvoir trompeur des images et de soulever la question de l’optique, posée précisément par le roman. En définitive, l’illustrateur, après avoir divulgâché tout le roman dès le frontispice, irait plus loin que l’auteur, lui confisquant son autorité, en refusant un pouvoir d’explication à la science et en affirmant le « pouvoir d’enchantement » de l’œuvre d’art.

Enfin, l’article de Yoan Vérilhac porte sur les images de Verlaine réalisées pour le numéro du 1er février 1896 de La Plume. Il observe que la construction du volume d’hommage au poète disparu et les choix iconographiques qui l’accompagnent visent en réalité moins à honorer le maître qu’à établir l’identité singulière de la revue et à forger l’image d’une communauté d’artistes qui ont en commun la mémoire de Verlaine.

Les derniers articles portent sur la période contemporaine. Philippe Kaenel retrace de la trajectoire artistique de Théophile-Alexandre Steinlen en s’arrêtant plus particulièrement sur les liens qu’il a entretenus avec Anatole France. L’auteur présente le parcours de cet illustrateur qui s’est servi de l’influence des auteurs qu’il a imagés pour construire sa propre carrière, entre rapports de concurrence et de reconnaissance réciproque.

Après quelques rappels sur la situation du livre illustré au début du XXe siècle, Michel Collomb développe le rapport de Morand aux illustrateurs, que ce soit pour les campagnes publicitaires menées par Grasset ou pour des éditions illustrées, de luxe ou populaires.

Serge Linarès s’intéresse, de son côté, à la façon dont Du Bouchet a conçu ses recueils en un dialogue avec les peintres qui l’ont illustré. La conquête, au fil des livres, d’une conscience aigüe du rôle du blanc conduit à une construction progressive des recueils illustrés : alors que Sol de la montagne structure texte et image chacun sur une page, Au deuxième étage est le premier livre dans lequel l’image déborde sur le texte, offrant au poète la « révélation du potentiel figural de sa page d’écriture » (p. 348). C’est à partir de 1959 et de Sur le pas que Du Bouchet acte véritablement la transformation de l’écriture, dans son travail, en un « artefact visuel » (p. 349). Il s’agit moins par là d’attribuer une puissance sémiotique à l’image dont serait dénuée l’écriture que d’utiliser l’image pour révéler, au contraire, toute la force de sens de l’écriture qui est elle-même, par nature, une forme d’iconographie. Ce travail avec les artistes permet en outre à Du Bouchet d’approfondir son questionnement sur la faiblesse du langage en l’élargissant au rapport plus général des signes au réel : « le lecteur assiste à la rencontre de l’innommable avec l’infigurable et à leur effort commun pour atteindre une forme du vrai » (p. 353).

Le dernier article offre enfin un exemple de partage d’autorité auctoriale entre auteur et illustrateur à travers les publications d’Orange Export Ltd. Catherine Soulier analyse le fonctionnement de cette maison d’édition dans laquelle Emmanuel Hocquard confectionnait lui-même les ouvrages et où Raquel Levy, peintre et co-fondatrice de la maison, l’accompagnait dans la réalisation de livres à quatre mains. Ceci permet à Catherine Soulier de définir Orange Export Ltd comme « une fabrique de ce que l’on peut appeler "livres illustrés" » (p. 363). L’autrice étudie ensuite en détail le travail de Raquel Levy, notamment dans son rapport à la structuration des pages, qui peuvent servir à interroger les ouvrages manufacturés par Orange Export Ltd en tant que « peintures de livre », concept forgé par Hocquard lui-même.

En définitive, l’ouvrage offre bien divers éclairages sur ce partage de l’autorité entre les trois instances que sont auteurs, éditeurs et illustrateurs. Peut-être regrette-t-on parfois le choix d’une organisation chronologique alors que certains articles se regroupent thématiquement (figuration de l’auteur, travail conjoint de l’auteur et de l’illustrateur, concurrence entre texte et image, stratégies éditoriales), mais c’est là un parti-pris qui a sa légitimité.

 

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