- Baptiste Decorps A propos de l’ouvrage : Catherine Pascal, Marie-Eve Thérenty |
Qui a autorité sur le livre ? L’auteur ? L’éditeur ? Lorsqu’interviennent des images, l’illustrateur ? Les trois à la fois ? Y aurait-il conflit dès que l’illustrateur utilise le livre dans le but de légitimer son propre travail ? Ce sont ces questions que soulève Image, autorité, auctorialité du Moyen Age au XXe siècle. L’enjeu de l’ouvrage est en effet d’interroger ce que l’image fait au régime auctorial d’autorité en observant si elle appuie, utilise ou dispute l’autorité de l’auteur. La perspective se veut diachronique, en analysant les multiples formes qu’a pris ce dialogue au fil des siècles.
Le livre commence par trois articles portant sur la période médiévale. Celui d’Aurélie Barre est consacré à Renart le nouvel. Elle y étudie successivement trois miniatures qui voient évoluer la posture d’auteur. La première image représente l’auteur en train de lire ; ce qui manifeste la composition particulière du Roman de Renart, est constitué de répétitions et variations à partir d’un canevas initial. Mais rapidement, une nouvelle image installe Renart dans la position de l’auteur et inaugure son règne. A. Barre souligne ici la fonction synoptique de l’image : « l’image et le processus de mise en abîme qu’elle met en scène agissent comme les révélateurs de ce qui, disséminé dans la linéarité du récit, échappe à la saisie immédiate, à la vue d’ensemble » (p. 27). Le règne de Renart est un nouveau monde figuré par une miniature représentant une roue de fortune au sommet de laquelle il trône, couronné. Ce faisant, Renart perd son caractère fuyant au profit d’un sens univoque : l’autrice remarque que dans les différents manuscrits, c’est le même programme iconographique qui est proposé – l’ordre est stabilisé. Renart devenu roi n’a plus lieu de vivre de nouvelles aventures. Le sens se stabilise et Renart devient pleinement « figura diaboli » (p. 32). A. Barre note ainsi que si Armand Strubel avait refusé de prendre en compte Renart dans son corpus sur l’allégorie, Renart le nouvel offre un nouvel aspect du personnage, définitivement fixé comme allégorie du mal. Et par là, nous assistons à un « déplacement générique de la matière renardienne vers le conte moral » (p. 34).
Philippe Maupeu, quant à lui, s’intéresse à la scène topique de la remise du livre au Prince, en questionnant le réalisme historique d’une telle scène à l’aide de la théorie de la communication. Il analyse d’abord les éléments qui permettent d’identifier un contexte défini et les protagonistes dans l’image en notant que ceux-ci confèrent « un pouvoir d’illusion référentielle sans garantir sa valeur de témoignage » (p. 41). S’appuyant sur les Chroniques de Froissart, l’auteur remarque que les scènes de don du livre existent réellement. Dans le même temps, il note que le don du livre place potentiellement l’auteur dans deux situations : soit celle d’un écrivain au sens plein du terme, offrant une œuvre écrite qui sera lue ultérieurement soit celle d’un jongleur qui performe son texte. Or, les scènes de remise du livre se trouvent à la frontière de ces deux situations : le livre est fermé, la performance doit être décalée mais l’écrivain et le lecteur sont dans une situation de dialogue : « l’écrivain autour de 1400 aspire à ne plus être un jongleor, fût-ce de ses propres œuvres : il s’est retiré de la scène théâtrale de l’interprétation pour investir la scène de l’énonciation au sens où l’entend la pragmatique du discours » (p. 44). L’auteur poursuit en constatant que cette volonté de légitimité et de conquête d’autorité passe également par la matérialité même du livre. En analysant le manuscrit bien connu de L’Epistre Othea, P. Maupeu fait de l’autographie un processus de légitimation : par là, Christine tente une « appropriation subjective d’une clergie dont elle était en tant que femme a priori déshéritée » (p. 48). Et le manuscrit participe alors de l’actio : une « éloquence du corps », qui donne son titre à l’article.
Ensuite, l’article de Didier Lechat est consacré à la traduction de Valère-Maxime en français et analyse la façon dont les enluminures rendent compte de l’engagement de Charles V dans cette entreprise, en notant bien que le public visé est constitué moins de lettrés que de bibliophiles. L’auteur souligne les multiples enjeux qui peuvent être associés au programme iconographique – image de soi que le traducteur souhaite transmettre, indications sur la réception ultérieure de l’œuvre, relation entre le clerc et le commanditaire – et étudie la présence ou non d’une figuration de l’auteur latin et du commanditaire initial (Tibère). L’article analyse ensuite dix enluminures. Les premières observées montrent qu’alors que Tibère est représenté en guerrier, le roi français, est dépeint en prince lettré. D. Lechat analyse ensuite les multiples configurations que prend l’enluminure selon le nombre de personnages représentés et note qu’il est difficile de faire cohabiter dans une même image la représentation d’un Tibère cruel et d’un bon roi. A l’inverse, certains manuscrits ne représentent que Tibère et Valère-Maxime, qui forment un couple professeur-élève ; l’auteur latin est présenté comme un didacticien et l’empereur se voit relégué à un statut de relais entre l’auteur et le public. D. Lechat conclut en revenant sur la variété des enluminures, qui n’empêche pas une certaine stabilité symbolique.