Résumé
Les ouvrages phototextuels Children of the World, publiés entre 1951 et 1970 par Anna Riwkin et Astrid Lindgren, voulaient promouvoir la tolérance et une compréhension internationale. Cet article ambitionne d’explorer la façon dont la photographie documentaire est utilisée pour appliquer une pratique visuelle moderniste et idéologique dans les livres pour enfants au cours des décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. Les images de Riwkin dans ces livres pour enfants oscillent entre le photojournalisme, les images soigneusement mises en scène et les ambitions documentaires. Pour Riwkin, engagée personnellement dans le débat politique de l’époque en Suède, et avec une force motrice idéologique et politique puissante, les livres illustrés par la photographie lui offrent un autre moyen de communication artistique et idéologique.
Mots-clés : photolittérature, photographie, documentaire, modernité, femmes photographes
Abstract
Anna Riwkin and Astrid Lindgren’s photographic picture books Children of the World, published between 1951 and 1970, aimed to promote tolerance and international understanding. In this article, I will discuss how documentary photography is used to implement a modernist and ideological visual practice in books for children during the decades following the Second World War. Riwkin’s images in these picturebooks vacillate between photojournalism, carefully staged images and documentary ambitions. Riwkin, who was personally engaged in the political debate of the time, and had a strong ideological and political interest, the photographic picturebooks for children offered her yet another artistic and ideological channel.
Keywords: photographic picturebooks, photography, documentarism, modernism, women photographers
Les livres illustrés de photographies Children of the World, publiés entre 1951 et 1970, veulent, à travers les albums pour enfants, promouvoir la tolérance et une compréhension internationale. Ils représentent une tendance très particulière dans la littérature d’enfance et de jeunesse, et montrent comment les idées concernant les enfants sont représentées et construites dans les années d’après-guerre en Europe. Dans mon article, je vais discuter de la façon dont la photographie documentaire est utilisée pour appliquer une pratique visuelle moderniste et idéologique dans les livres pour enfants au cours des décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale [1].
La photographe à l’origine de la série Children of the World, Anna Riwkin, devenue Anna Riwkin-Brick après son mariage, est née en Biélorussie dans une famille juive, immigrée en Suède en 1914. Bien qu’elle soit considérée aujourd’hui comme l’une des photographes féminines les plus célèbres en Suède, sa position sur la scène artistique suédoise fut caractérisée par la marginalité et une position culturelle radicale [2]. Dans les années 1940 et 1950, Riwkin est en effet impliquée dans plusieurs projets politiques et documentaires différents. Avec l’album illustré Elle-Kari (1951), elle introduit le concept de photographie documentaire en Suède dans les livres pour enfants [3]. L’ouvrage est le fruit d’une collaboration avec la journaliste Elly Jannes ; il évoque la vie d’une fille indigène sami dans le nord de la Suède [4]. Il a été suivi par 14 livres de Riwkin, écrits par différents auteurs, représentant des enfants de plusieurs pays et cultures. Parmi ces livres, neuf ont été écrits par Astrid Lindgren, probablement la plus célèbre auteure suédoise de livres pour enfants. Pendant des décennies, elle joue aussi un rôle clé dans le domaine de la littérature d’enfance et de jeunesse du fait de sa position d’éditrice à la maison d’édition Rabén & Sjögren (fig. 1).
Dans la littérature d’enfance et de jeunesse d’après-guerre, ces livres sont l’illustration d’idées artistiques et idéologiques spécifiques. L’utilisation de la photographie peut être perçue comme une rupture moderniste avec le passé en termes de forme et de langage, ce qui est une tendance manifeste dans les albums illustrés nordiques de cette période. Une jeune génération d’auteurs et d’artistes trouve que la forme esthétique et narrative traditionnelle de la littérature d’enfance et de jeunesse est devenue inadaptée pour décrire le monde moderne auquel l’enfant appartient. On considère alors que la littérature d’enfance et de jeunesse a besoin d’un nouveau langage, de nouvelles formes et d’images « modernes ». Bien que l’album illustré par la photographie ait souvent été considéré comme une partie marginale de l’esthétique d’un album illustré, il devient une partie centrale dans ce tournant artistique, appliquant des stratégies visuelles qui cherchent à introduire non seulement de nouveaux sujets, mais aussi de nouveaux modes de vision et de cognition dans la littérature d’enfance et de jeunesse.
L’objectif de livres tels que Noriko-San, Girl of Japan (1956), Sia lives on Kilimanjaro (1959) et Marko lives in Yugoslavia (1962) est de donner une représentation juste et précise des enfants, à la fois en termes de contenu et de ton, et de représenter les enfants aux différentes origines ethniques d’une façon « authentique ». Les livres suivent des formules de concept et de conception similaires. Le personnage principal est représenté sur la couverture, le titre inclut le nom de l’enfant, et un cadre décoratif, en rapport avec la culture ou le pays spécifique, est utilisé pour entourer le portrait de l’enfant. Qu’elles soient racontées à la première ou à la troisième personne, les histoires sont narrées du point de vue de l’enfant, s’adressant souvent au lecteur implicite par des questions et utilisant les pronoms de la deuxième personne. Le texte et l’image se réfèrent l’un à l’autre pour présenter une histoire construite autour du personnage principal, représenté en train de jouer ou de vaquer à des tâches quotidiennes, entouré par la famille, les frères et sœurs, ainsi que les animaux domestiques.
[1] Une version précédente de cet article « To Mirror the Real: Ideology and Aesthetics in Photographic Picturebooks » a été publiée dans Beyond Pippi Longstocking. Intermedial and international aspects of Astrid Lindgren's works, Bettina Kümmerling-Meibauer et Astrid Surmatz (dir;), Londres, Routledge, 2011, pp. 173-183.
[2] Eva Dahlman, Lena Johannesson, Gunilla Knape, Women photographers: European experience, Gothenburg, Acta Universitatis Gothoburgensis, 2004, p. 58.
[3] Kristin Hallberg, Den svenska bilderboken och modernismens folkhem, Stockholm, Stockholm university, 1996, pp. 114-115.
[4] Helene Ehriander, « Exotisk vardag: Anna Riwkin-Bricks och Astrid Lindgrens fotografiska bilderböcker », dans Bild och text i Astrid Lindgrens värld, Helene Ehriander et Birger Hedén (dir.), 1997, pp. 111-124.