L’Allemagne au prisme des albums de jeunesse
L’exemple de la série ALLES des éditions
Klett-Kinderbuch

- Alexa Craïs
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Résumé

En Allemagne, on relève une utilisation forte des albums de jeunesse dans les actions mises en place par les organismes d’Etat à l’attention des jeunes enfants étrangers, aussi bien pour une lecture plaisir au sein des bibliothèques, dans des maisons de la culture, au sein des familles, que dans une perspective d’apprentissage dans les crèches et les écoles et une transmission des normes et valeurs propres à la société allemande. Il s’agit de s’interroger sur la politique éditoriale de la maison d’édition de Leipzig, Klett Kinderbuch et plus précisément sur une série ALLES. S’agit-il d’ouvrages répondant à une demande institutionnelle ou bien des projets éditoriaux avec des visées sociétales ? Que signifie s’engager dans une « culture de bienvenue » pour construire quel vivre ensemble ? Dans l’optique d’une publication « conjoncturelle », il est possible de se demander s’il y a une réflexion littéraire et plastique subjective ?

Mots-clés : littérature de jeunesse, Allemagne, éducation, intégration, édition

 

Abstract

In Germany, children's books are used extensively in the activities of state actions for young foreign children, both for pleasure reading in libraries, in cultural centres and in families, and for learning in pre-schools and schools and for the transmission of norms and values specific to German society. The aim was to examine the publishing policy of the Leipzig publishing house, Klett Kinderbuch, and more specifically the ALLES serie. One question was whether these were works responding to an institutional demand or editorial projects with societal aims? What does it mean to engage in a "welcome culture" in order to build a way of living together? From the point of view of a "situational" publication, it is possible to ask whether there is a subjective literary and plastic reflection.

Keywords: children’s literature, Germany, education, integration, publishing

 


 

En comparant, pour l’année 2019, le marché du livre en Allemagne et en France [1], il apparaît de fortes similitudes tant dans le nombre de points de vente, de maisons d’éditions que de librairies indépendantes. La part de la littérature de jeunesse est aussi semblable (15% en moyenne). Néanmoins, il y a des différences quant au nombre de titres parus sous cette appellation : en 2019, 7900 en Allemagne pour 9400 en France pour une quantité à peu près équivalente de maisons d’éditions (une cinquantaine avec une dizaine en position dominante). Ainsi, en me concentrant sur l’édition de la littérature pour la jeunesse (hors manga, BD et romans), il apparaît que la production en France est plus importante et que le réseau des écrivains et illustrateurs de jeunesse semble plus dense même si des données exactes sont difficiles à trouver, tant le périmètre du genre littérature de jeunesse est protéiforme [2]. Un des premiers constats à tirer sur cette différence de publications est qu’en Allemagne, une partie des formats d’albums pensés comme des propositions d’objets livres semble un peu moins audacieuse. Par conséquent, le corpus en langue allemande choisi à la fois pour esquisser une généalogie du genre du « portrait de pays » en littérature jeunesse, en interroger les marqueurs de généricité, et apprécier l’impact de la mise en collection sur les auteurs et les lecteurs n’est constitué que de format d’albums rectangulaire ou carré dits « à l’italienne » accordant autant d’importance au texte qu’à l’image.

Dans le cadre de cet article, je me suis intéressée à une série publiée par les éditions allemandes Klett Kinderbuch. Celles-ci ont été créées en 2008, à Leipzig, comme un département de Klett Verlag [3], la plus grande maison d’édition indépendante de Munich, troisième maison d’édition allemande en termes de chiffre d’affaires, leader sur le marché des manuels scolaires et parascolaires en Allemagne (3 600 collaborateurs, plus de 540 millions d’euros de chiffre d’affaires). Klett-Kinderbuch a pris son indépendance en 2015 mais continue de bénéficier indirectement de la renommée et du réseau de diffusion de la maison mère. Klett-Kinderbuch vise un public de lecteurs entre deux et douze ans, publie peu (une douzaine de titres par an), des auteurs reconnus ou de jeunes pousses de langue allemande et quelques traductions, surtout de langue anglaise. Elle a pour projet d’enthousiasmer le lecteur, de le transporter vers un ailleurs imaginaire, de le divertir sans perdre de vue un objectif éducatif, moral et civique. Notre choix s’est porté sur cette maison d’édition pour trois raisons : elle est spécialisée dans un segment de niche, elle ne propose que très peu d’ouvrages traduits et c’est une société engagée à divers titres depuis sa création. Ainsi, il m’a semblé pertinent de voir quels principes elle défend, de se demander dans quelle mesure ces principes participeraient à la construction d’un vivre ensemble dans l’Allemagne du XXIe siècle en profonde mutation.

Avant tout, dressons un rapide portrait de l’Allemagne depuis ces dix dernières années avec une attention particulière pour l’année 2015. Pourquoi 2015 ? C’est une année charnière pour la démographie allemande. A la fin de l’été 2015, l’Allemagne et l’Autriche décident ensemble d’autoriser les réfugiés à quitter la Hongrie et d’ouvrir les frontières [4]. Ce faisant, les deux pays contournent le règlement « Dublin 3 » de 2013 qui impose aux pays d’entrée des réfugiés de se charger d’instruire les demandes d’asile – et qui donc épargnait l’Allemagne et l’Autriche du fait de leur position centrale géographiquement – de façon à absorber une partie du flux migratoire qui s’est intensifié considérablement sur la route des Balkans et qui fragilise les pays d’entrée : Grèce, Serbie, Bosnie, Macédoine, etc.

 

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[1] Données disponibles sur le site allemand de la Börsenverein des deutschen Buchhandels (Fédération des métiers du livre) (en ligne. Consulté le 5 juillet 2022) et pour la France sur le site de l’Observatoire des chiffres-clés du secteur du livre (en ligne. Consulté le 5 juillet 2022).
[2] On peut souligner ici l’effort remarquable de Sophie Van Der Linden d’avoir proposé une catégorisation par âge et format (Sophie Van Der Linden, Tout sur la littérature de jeunesse de la petite enfance aux jeunes adultes, Paris, Gallimard jeunesse, 2021, p. 84).
[3] Pour en savoir plus, voir le site de Klett Verlag (en ligne. Consulté le 5 juillet 2022).
[4] Erik Vollmann, « Angela Merkel et la politique des réfugiés 2015-2017 », dans Outre-Terre, vol. 52, n° 3, 2017, pp. 117-124 (en ligne. Consulté le 5 juillet 2022).