Lettre au cantor d’Oulchy-le-Château
- Pierre Skira
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       Plus d’un demi-siècle déjà, une année après la guerre, je n’avais pas dix ans, j’assistais à une cérémonie à la mémoire d’un disparu ou à la commémoration d’un anniversaire ou à l’occasion d’une fête, je ne sais plus, mais ce jour-là en début de soirée, nous étions très nombreux dans une petite salle sombre et humide. Après une suite de discours dont je n’ai gardé aucun souvenir, un homme âgé, vêtu de noir, s’est approché du micro et a chanté, psalmodié lentement d’une voix faible. Dans la tonalité de cette voix singulièrement grave et poignante résonnait une source de sons fragiles et quasi affolés. Résonnait aussi la conviction que sa voix était sienne, irremplaçable, non corrompue, malgré ce qui avait été probablement entrepris pour qu’elle se taise et disparaisse.
       Quand il se tut et nous quitta je restai comme sonné, ému, saisi par la vigueur et la couleur de ce chant si bien scandé, venu des temps incertains. Il me fallut des années pour que reviennent son souvenir et le sentiment de l’intégrité, de la fidélité à soi, à son travail et à son œuvre.
       Voilà mon cher ami Titus, à chacune de mes visites à ton atelier, je sais que le cantor est du côté d’Oulchy, laissant en partage l’intégrité, la fidélité, la gravité et la beauté.

 

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