Dérive de poèmes
à partir de livres de Gérard Titus-Carmel
- James Sacré
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(L’Ordre des jours)
Dans l’ordre des jours, en plein jour
Ce n’est qu’absence et solitude
Malgré ce qu’on voit et ce qu’on croit espérer,
A cause du souvenir.
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Le jour extérieur n’est-il pas
Sorte de nuit ? Tu n’y comprends rien
Il ne donne à lire que de l’absence à venir
Ou geste vers la mort
La mort : où les jours te débordent.
*
Des feuillages qu’un peintre coupe aux frondaisons des jours
Ne vont rien sauver, leur merveille
N’est que fioriture d’une mort.
Toile de linceul,
Mais le geste de la peindre, ou celui de l’écrire ?
*
Le monde et le mot vivre nous font mourir
Le mot vivre inventé pour quoi dire
Qui n’est que silence à la fin ?
Le mot vivre pour aimer quoi ?
*
Jungle des fougères qui ne sont bientôt plus
Que décors pour des bibliothèques répétées
Et désespérément vides. Des nielles
Restent vainement droites dans les blés du temps.
Tout le grain s’épuise en mots croulant.
*
Et soudain dans la chronique prosée
Qui s’en va comme en raisonnant
Il y a la raide affirmation
De plusieurs pages en étroites colonnes
De mots versifiés court
Affirmant mélange et chaos
D’histoire et de désir et comme si
Du plein, du bonheur était là
Mais tout s’écroule évidemment
L’énergie de l’emballement
Ne fait qu’affirmer à la fin
Sa corde lyrique rompue.
*
La prose qui raconte
Et porte les plus vifs souvenirs d’avoir été
(Légèreté des parenthèses remplies d’italiques frémissantes)
D’un jardin d’origine ou d’enfance
A son retournement en jardin de mort.
(De quel avantage veut parler
Un dernier rêve : comme au-delà
De ce qui vient d’être absenté ?)
Dans le mot « jonchaie » (lieu de vert vivant)
On entend aussi bien « jonchée »
Restes d’images et de pensées restes d’un monde
Auquel on a cru : lieu de silence vivant ?
*
Si les roses qui sont à cueillir
Sont roses de souvenir ?
Juste une couleur de temps
Pour continuer contre la mort
Couleur du temps qui nous a tués,
Et qui nous garde vivants :
Au bord de quel
Jardin silence ?
*
Un signe d’adieu sans cesse répété
Qui serait le seul signe du vivant
S’en allant vers la mort. Mais vivant.
*
Le silence, après chaque essai de parole, comme
La nuit toujours recommencée
Comme la mer
Comme un livre, un autre. Encore un autre.
*
Ce qu’il y a de léger dans l’enfance
Reste en geste fragile (et qui sait sa fragilité)
Devant la mort. Et se lie au silence.
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(Ressac)
Une colère est devant nous, colère
De mémoire abolie, de rien
Bruit qui se défait, pour se défaire encore.
On pense au déferlement de l’écriture
Qui ne souffle mot
Que de la mort.
*
Regarder ce qui meurt nous garde vivants
Vivants pour continuer de mourir.
*
Mascaret de notre figure tremblée
Entre colère des mots et colère sans explication
De la mer, et du monde.
*
Si l’océan nous emporte
Ou nous efface de nous-mêmes
Faut-il croire pour autant
Que son geste nous rend
A de la vraie présence ? Qui le saurait ?
Et quel poème pour le dire, même
Si écrire emporte
Et nous efface par des mots ?
*
L’océan : comme de la nuit déferlante
Dans le grand plein jour.
Tu ne sais plus ni comment vivre
Ni comment mourir.
Et si vraiment la claire présence d’un ailleurs ou d’un autre temps
Pourra briller dans un été futur ?
Léger conditionnel d’une phrase mené
Dans l’inquiète pensée de ce futur.
Inquiète et qui sait bien
Que cela n’a pas de sens, ni avenir
D’espérer abolir le temps en soi.
*
Du langage et du vide s’échangent, double ressac
Et mascaret où s’amincit ton ombre.
Où te tiens-tu ?
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