L’art dans la chapelle
- François Boddaert
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C’est là qu’il travaille, textes et peintures, dans le vaisseau clair et sonore d’une chapelle désaffectée (fig. 1). Lieu évidemment propice à la méditation (moins banal qu’il n’y paraît !). Et dans le sanctuaire, le chœur désencombré de toute divinité visible est, justement, encombré de tout ceci que Suite Chancay – Varia n° 8 domine de son hommage aux civilisations andines :
— Une petite corne bovine (m’est avis) : elle n’est pas, précisément là, sans rappeler le shofar hébreu (les murs de Jéricho tombèrent sous son charme) : un peu de sacralité imaginaire, donc, posée contre le tabernacle.
— Contre, encore, une photographie de Rimbaud (celui de la nuit nulle ?) entourée de petits bois ligaturés qui remémorent les années soixante-dix (The Four Season Sticks – leurs dessins à la mine de plomb). Une statuette de femme très stéatopyge (à moins d’y voir un salut fort modelé à quelque féminité d’André Masson) se rencogne et semble se cacher un peu. Mais Rimbaud, figure tutélaire de tout poète (Gérard Titus-Carmel est de la fratrie) parlant des sœurs de charité (l’atelier fut la chapelle d’un couvent de femmes) pensait peut-être à la statuette callipyge : « seins splendidement formés »…
— Quatre légères silhouettes en bouchon et fil de fer (cavaliers et cyclistes) – tous immobiles à grands pas.
— Quatre petites fioles en aluminium, d’une dizaine de centimètres de haut, obturées par des bouchons disproportionnés : un hommage métallique et décalé à Morandi (l’un des Trois noms que j’aime bien, page de carnet, 1979).
— Un vieux rabot. De ces outils qu’on maniait à l’école Boulle mais à quoi on préféra le burin.
— Une planche en noir et blanc des aventures de Tintin ; et là, passé le savoir encyclopédique que le peintre a de tout ce qui touche au petit reporter, on s’affronte à un mystère en ne reconnaissant pas la provenance de ladite planche dans l’œuvre entier d’Hergé…
— Un bâton de colle. La « substance gluante et homogène » est l’autre médium de ce maître du collage, marouflage et papiers préparés.
— Une photo de l’artiste. Il en est pas mal d’autres mais, ici, la tête de Titus-Carmel jouxte diptyquement un fragment photographique d’arbres (si j’ai bien vu). Le peintre affronte son motif…
— Deux tampons-dateurs d’ancien modèle caoutchoutés : le temps s’est arrêté, parfois même il renonce (Ici rien n’est présent).
— Deux tampons efflorescents venus de L’Herbier du Seul : ils font sceau de l’artiste ; peut-être un signe aux calligraphes de l’Extrême-Orient – du Japon qu’il affectionne. On se souvient alors de certaines cartes de vœux, leurs matrices gravées dans le linoléum.
— Trois agrafeuses de modèles différents et leurs boîtes d’agrafes. Ici, on regrette qu’au fil d’un ancien « Portrait de l’Artiste en ses goûts & couleurs mêmes », parmi les trois boîtes qui « ont de la magie », celles du compas, de l’écritoire et du sushi l’emportent sur la boîte d’agrafes !
— De fines baguettes de bois – du temps des 9 Constructions frêles ? (« plus que d’ériger, il sera question, ici, d’assembler », Notes d’atelier, p. 62) – dans leur coffret profilé de Paddy (le whisky fut longtemps son affaire).
— Un papillon sous verre, échappé sans doute des Jungles, des Forêts, mais plus sûrement de L’Herbier du Seul.
— Plusieurs petits cadres de bois sombre auxquels manquent photographies, dessins, chromos…Tristesse d’un cadre vide !
— Quelques dossiers finement poussiéreux (oui)…
Sur le devant de l’autel, formant prédelle imaginaire : les trois volets de la grande Jungle (Triptyque II) de face, et sa sœur (pénitente ?) au dos.
Sur les marches, comme en oraison, crânes tournés vers le ciel, une composition de vanités sous cadre – Memento mori si précisément à leur place.
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Ceci n’est pas qu’un inventaire. Fragments d’oubli ? Témoins épars de ce qui, peu à peu, constitue un homme et son œuvre, hantant, mais dans une paix que la poussière caresse, l’ « ombre du seul atelier » ?
Les poèmes, aussi bien, naissent parmi la jonchée des papiers peints découpés, froissés, abandonnés, entre les grands plateaux-tables où dessins et gravures, manuscrits ou épreuves attendent, en piles, leur destin. Ces poèmes qui, souvent, ressassent dans le miroir de leurs strictes architectures (et pourtant, chaque fois, le livre s’enroule autour d’un thème qui n’est pas qu’au titre) le pur et définitif drame de vivre. A quoi répondent, depuis longtemps, les suites colorées du peintre – ces longs dialogues chromatiques – qui sont le versant lumineux et saturé de couleurs de l’autre côté vivant de la vie.
Et au fond du vaisseau clair, le chœur défait des oraisons et des chants renvoie pourtant quelque chose de la calme nuit obscure (mystique ?) si ardemment questionnée par Titus-Carmel. L’envahissement de son intégrité sacerdotale par les fragments (comme puzzle ?) du métier d’artiste, semble bien se résoudre à l’instant du regard dans les crânes noirs d’un Memento mori, sur les marches :
descellés du mur
ou détachés de nos nuits
éboulis fragments de rêves
rompus broyés jusqu’à l’âme
plus que cette poussière
au bord des paupières
et nous frottant les yeux
de cet emplâtre ô combien
est lourde
la beauté
(Travaux de fouille et d’oubli)