Entretien avec
Gilles Tiberghien

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Dans Finis terræ, vous différenciez l’artiste et le cartographe, le second s’employant dites-vous à brouiller ce que le premier mesure et ordonne. Mais n’y a-t-il pas aussi dans certaines expériences cartographiques contemporaines des tentatives pour inventer de nouvelles mesures et de nouvelles rationalités ?

 

Gilles Tiberghien : Oui, bien sûr, et d’ailleurs cette opposition n’est que partiellement vraie puisque les artistes dès les débuts de la cartographie ont été mis à contribution pour produire des cartes. Il existe de grandes écoles de cartographie comme celle de Gênes ou de Majorque au XIVe siècle d’où est issu le fameux « Atlas Catalan » d’Abraham Cresque offert à Charles V par le roi d’Aragon. Que l’on songe aussi à l’extraordinaire « Atlas Miller » réalisé beaucoup plus tard en 1519 par Lopo Homen. Ou bien d’autres encore qui manifestent un art extraordinaire du détail et de la couleur. Ces cartes sont de véritables œuvres d’art qui veulent en même temps nous informer. Mais les artistes ont le champ assez libre dans la mesure où beaucoup reste à imaginer. Quand la cartographie au XIXe siècle acquiert sa légitimité scientifique l’art devient moins visible et l’idée de la carte « scientifique » s’impose dans un contexte positiviste dominant. Les artistes alors en s’emparant des cartes vont se glisser dans cet écart dont on a parlé et vont réinterroger les certitudes de la cartographie jouant avec la surface et la profondeur, la grille, l’échelle, le cadre - comme ils l’ont d’ailleurs toujours fait - mais aussi les techniques de projection qui ont été une véritable gageure tout au long de l’histoire de la cartographie, la projection de Mercator, plus commode pour naviguer, n’étant pas plus « vraie » qu’une autre. Ce que les artistes vont introduire, en particulier les artistes contemporains, c’est la subjectivité dans la carte, le point de vue du sujet, renouant ainsi parfois avec des méthodes cartographiques « archaïques » que l’on trouve dans les codex mexicain ou dans d’autres types de cartes anciennes.
Il y aurait beaucoup d’exemples à citer : on en trouve dans mon livre mais aussi dans les expositions consacrées à l’art et à la cartographie comme GNS au Palais de Tokyo ou Le Dessus des cartes à Bruxelles pour n’en citer que deux parmi les dernières en date. Je consacrerai à cette question un article dans la revue L’Espace Géographique qui prépare un dossier sur cette question.

 

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