Jean Cocteau et la ligne transgressée
- Alex Callebaut
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       La deuxième phase, celle de l’intégration du réseau propositionnel, élaboré ou non, va consister à réviser la connaissance et à la rendre plus accessible à l’interprétation. Ce deuxième volet se réalise à l’aide d’un processus de répartition et d’activation. Il peut durer plusieurs cycles avant d’aboutir à un état stable. Dans la théorie de Kintsch l’aboutissement est une représentation finale du texte. Cet état est interprété et évalué avant de rejoindre la mémoire épisodique. Le dernier transfert se fait dans la mémoire à long terme. La description des cycles n’est qu’une conception schématique d’un processus plus complexe :

 

       Le comportement de l’architecture ne doit être perçu comme une voie à travers une arborescence d’objectifs sous-jacents. La meilleure façon est de la représenter comme une carte topographique dynamique. Le point culminant change au bout de chaque cycle de décision. Chaque cycle définit l’objectif actuel, son contexte et les mesures à prendre [17].

 

       Grâce à l’apport théorique des sciences cognitives, nous pouvons aborder les points de repère pour une approche cognito-génétique.

 

Orientations pour une lecture génétique et cognitive

 

       L’avant-texte n’est que l’infime partie tangible, « trace, indice ou signe du travail de l’esprit mais en aucun cas image ou reflet fidèle de celle-ci [...] » [18]. L’archive ouvre sur les abîmes difficilement explorables des chemins de la création. Plus on va en amont du processus de création, plus le cadrage cognitif s’efface. Un espoir demeure toutefois, selon Olivier Lumbroso, celui, « à l’aube du XXIe siècle, d’explorer, grâce à de nouveaux outils, la part la plus complexe et la plus mystérieuse de l’autre créateur, celle qui place le généticien aux limites mêmes de l’entreprise critique de la génétique » [19]. La description du support est en effet possible, mais le processus cognitif est unique et ne peut être saisi ou reproduit sans que l’on intervienne dans le processus lui-même. Il échappe ainsi à toute tentative d’extériorisation. Or les théories cognitives fournissent des modèles de construction de la compréhension qui permettent d’orienter une lecture à la fois génétique et cognitive.

 

La séquence matérielle et le cycle cognitif

 

       La construction de la compréhension est une séquence constituée de plusieurs phases, aussi bien dans l’approche de Johnson-Laird que selon le modèle CI de Kintsch. Dans notre article, la séquence est perçue comme une articulation en trois temps. Elle comprend l’approche du support matériel, le processus de lecture et la phase après la lecture. Elle devient alors un enchaînement articulé qui s’applique à différentes échelles quantitatives de la lecture : que ce soit pour la lecture d’un phonème ou graphème, d’une phrase, d’un texte ou d’une œuvre picturale. Le principe de la séquence permet une transition flexible entre le plan matériel de la lecture et le processus cognitif qui l’accompagne.
       Le cycle cognitif se déroule en parallèle avec la séquence matérielle. Il subit un processus de transformation au fur et à mesure de l’ajout des données. L’origine des données n’est pas limitée à la seule lecture du support : l’intertexte, la mémoire, l’état d’âme, l’environnement immédiat ne constituent que quelques facteurs qui peuvent influencer le réseau cognitif. Bien qu’il s’agisse de la dynamique centrale du processus, le cycle cognitif ne peut toutefois être reconstruit que de façon hypothétique à partir de l’archive.

 

Le principe construction - intégration

 

       Le principe CI s’applique à la séquence de la lecture et de l’écriture. L’objectif est de parvenir à établir un niveau de stabilité à travers un processus de sédimentation. Les témoins de l’archive constituent la trace matérielle qui fournit le support de la progression génétique. Cette prise de conscience permet une autre approche des témoins. L’archive et l’intertexte génétiques balisent le cheminement et permettent une ouverture sur la dimension cognitive de l’œuvre.

 

Le réseau et le principe cyclique

 

       Comme nous l’avons déjà remarqué, la lecture et l’écriture ne sont pas des phénomènes isolés. Leur dynamique s’insère toutefois dans un contexte spatio-temporel toujours différent. Le lecteur découvre l’existence du texte avant d’entamer sa lecture. Ces informations préalables [20] vont influencer l’approche du support. La feuille virtuelle sur laquelle le lecteur actualise sa lecture est perçue comme un carrefour où l’apport du support matériel n’est qu’un élément de construction.
       La séquence matérielle est susceptible de se répéter à travers différentes lectures. En ce qui concerne le cycle cognitif, la lecture est continue. À tout moment, l’expérience peut être récupérée dans un nouveau cycle de la mémoire.

 

La dynamique

 

       Le principe dynamique est un acteur qui participe à l’ensemble du processus, aussi bien au niveau de la séquence matérielle qu’au niveau du cycle cognitif. Le mouvement est porté par la lecture du support et évolue vers un réseau cognitif stable.
       La transformation génétique de la trace matérielle témoigne de la dynamique de création. Le support matériel en progression est néanmoins périphérique par rapport à la dynamique cognitive. Du point de vue de la création littéraire, par exemple, le phénomène de l’ aller-retour témoigne de cette différence référentielle. Une séquence d’écriture commence et se termine par le même mot. Le cycle cognitif traverse tout un processus de construction dont la surface du témoin ne garde qu’une trace restreinte.

 

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[17] « Architecture behavior should not be viewed as a path through a three of explicitly defined subgoals, rather it is best to view it as a dynamic topographical map. The highest point of elevation on this map changes with each decision cycle, and each decision cycle defines the current goal, context and action to take » (Ibid., p. 172).
[18] O. Lumbroso, « Éléments pour une critique génétique cognitiviste », février 2007, site internet.
[19] Ibid.
[20] Les circonstances qui précèdent la lecture créent une disposition et une ambiance de réception qui vont influencer la lecture. Le lecteur connaît, par exemple, l’œuvre ou l’auteur, il a des affinités pour le genre ou peut-être s’agit-il d’une découverte circonstancielle, suite à la lecture d’une critique littéraire.