Le livre à figures qui s’inscrit dans la
continuité du manuscrit enluminé et des
incunables ornés de gravures sur bois, se
développe de manière tout à fait
remarquable aux XVIIe et XVIIIe siècles. La taille-douce
propose alors des compositions plus fluides, plus subtiles qui
illustrent différemment les textes. La fabrique du livre
s’en trouve modifiée en raison des nouvelles
presses nécessaires à l’impression des
plaques de cuivre gravées à l’eau-forte
ou au burin. La mise en page se normalise : les frontispices
ornés agrémentent ou se substituent à
la page de titre, les vignettes prennent le plus souvent place sur la
page de gauche. On pourrait de ce fait penser que le monde de
l’écrit et celui de l’image sont bien
délimités. Cependant, la présence de
la lettre dans la gravure vient troubler cette séparation
entre l’écrit et le visuel. C’est en
marge du texte et en marge de l’illustration que se situe la
lettre ; dans ces dispositions, que sert-elle, le texte ou
l’image ? En effet, la vignette illustre le texte en
résumant l’action ou en en représentant
un instant choisi. Si elle offre peut-être au lecteur un
divertissement visuel, elle doit surtout être la
transposition dans un autre support d’une narration. Le
dessinateur et le graveur montrent alors leur capacité
à traduire une histoire et les sentiments des personnages.
Leur art est un art autonome, les sujets
représentés sont lisibles,
déchiffrables, alors pourquoi légender la
vignette et qui préside à ces choix ?
L’illustration du livre a un statut bien particulier, dans un
jeu de miroirs que la méconnaissance des conditions de sa
réalisation renforce. En effet, les renseignements
concernant les commandes faites aux illustrateurs, les rapports entre
l’éditeur, l’auteur et le dessinateur
sont trop peu nombreux. Les recherches nourries sur
l’histoire du livre n’ont pas permis de faire des
découvertes significatives sur ce sujet puisque les contrats
font défaut. Dans ces conditions, ce que Diane Canivet
soulignait en 1957, Christophe Martin l’a rappelé
en 2000 [1].
Enfin, il
faut ici mentionner les commentaires qui, au début ou
à la fin d’un ouvrage, apportent des explications
sur les différentes illustrations du livre. Ces
éclaircissements assez fréquents au XVIIIe
siècle, viennent brouiller les pistes et proposer un autre
niveau de lecture qui renvoie aux connaissances du lecteur-spectateur.
Le sens des allégories commençait-il à
se perdre alors, le lecteur manquait-il de culture ?
N’était-ce pas aussi de la part de
l’éditeur une façon de justifier la
présence du visuel ? En effet, dès le
XVIIe siècle, les illustrations, parfois
considérées comme des arguments commerciaux,
n’ont pas toujours reçu un accueil favorable. Mais
nous ne pouvons qu’émettre des
hypothèses.
Il convient de définir et de circonscrire la lettre dans
l’estampe. Il s’agit de
l’« ensemble des inscriptions pouvant
figurer sur une gravure : titre, pièce de vers, nom
de l’artiste, du graveur ou de
l’éditeur, date, dédicace,
légende, etc. Une épreuve peut donc
être avec la lettre ou avant la lettre (ou avant toute
lettre) [2] ».
Les informations relatives à la fabrique de
l’estampe obéissent à certaines
règles. Ainsi le nom du dessinateur figure le plus souvent
en bas à gauche avec les mentions in.,
del.. tandis que celui du graveur est le plus
souvent en bas à droite, suivi de sculp.,
fec.. [3].
Lorsque le dessinateur est également le graveur, son nom est
inscrit de manière beaucoup plus libre dans
l’illustration. Il est également possible de
trouver la mention du privilège et le nom de
l’imprimeur autorisé à exploiter la
planche, suivi de excudit ou excudebat.
Enfin, dans la mesure où les illustrations sont
imprimées sur une planche indépendante du corps
du livre, les titres donnés et les chiffres inscrits
au-dessus ou en dessous du trait carré renvoient
à l’ordre des planches dans l’ouvrage.
Ils se rapportent à l’élaboration du
livre.
Il est
essentiel de retenir de cette définition le
caractère indissociable de la lettre et de
l’estampe. Il s’agit donc bien de
caractères gravés et non de caractères
d’imprimerie. L’illustration contient
l’écrit dans l’espace, dans les limites
de la cuvette [4].
On comprend aussi que le format de l’ouvrage, qui conditionne
la dimension de l’estampe régit
également le développement de la lettre. Alors
comment reconnaître cette lettre, comment
l’identifier avec certitude ?
L’observation de la feuille permet de voir si elle se situe
dans la cuvette ou en dehors. Les planches des Images de
platte peinture constituent un bon exemple (fig.
1). En effet, chaque illustration de grand format est
accompagnée dans la partie supérieure
d’un titre et d’un numéro, et dans la
partie inférieure d’un texte [5]. Pour autant, il ne
s’agit pas d’une lettre gravée.
Situés en dehors de la cuvette dont la marque est bien
visible tout autour de l’illustration, le titre et le
dialogue appartiennent à la page imprimée.
L’estampe, sans lettre, trouve place dans la page
typographique.