Fig. 1. Plan du Ministère de l’Education, Mexico
(passez la souris sur l’image pour faire apparaître le détail
de la Cour des Fêtes)
En 1923, le bâtiment du nouveau ministère de l’Éducation publique est achevé à Mexico et, dans la foulée, le
ministre Don José Vascancelos commande à l’artiste Diego Rivera (1887-1957) la décoration des murs donnant sur les deux cours intérieures. Cette tâche dure
cinq ans : de 1923 à 1926, l’artiste peint les rez-de-chaussée
et les premiers étages puis, de 1926 à 1928 – période entrecoupée dans sa dernière année par un voyage de neuf mois en URSS –, il décore les murs du
deuxième étage.
Le programme que Rivera choisit est le suivant [1] : la première cour est celle du Travail. Au
rez-de-chaussée, il représente différents travaux caractéristiques du Mexique et au premier étage, des images en camaïeu montrant les travaux intellectuels,
comme la médecine ou la technologie. L’étage au-dessus comprend des images figurant les arts et la science et de grands héros de la révolution mexicaine de 1910.
Dans la seconde cour, celle des Fêtes, Rivera peint des fresques sur le thème des festivals traditionnels, religieux et politiques. Au premier étage, il a prévu des
escutcheons (« écussons ») des États mexicains et au dernier étage, des fresques illustrant des corridos – des chansons populaires mexicaines – révolutionnaires.
C’est à cette décoration du deuxième étage de la cour des Fêtes, que je voudrais m’intéresser. Il
s’agit d’un ensemble de vingt-six panneaux intitulé La Ballade en musique qui comprend trois parties correspondant aux trois couloirs de l’étage
(fig. 1). Ces trois tranches suivent trois corridos différents : un corrido prolétarien (mur sud),
constitué de dix panneaux, et deux corridos agraires (murs ouest et nord), l’un a six panneaux et l’autre dix.
Pourtant, malgré ladite partition, cette décoration doit être considérée comme une œuvre à part entière car elle a une évidente
unité formelle : toutes ces scènes, où apparaissent des personnages de grandeur nature, sont peintes dans des ouvertures en trompe-l’œil, comme percées
à intervalles réguliers dans les murs. Au-dessus d’elles, le peintre a représenté une longue banderole rouge portant des textes en noir qui achève
l’unité de la décoration.
Cette banderole peut être considérée comme marginale en ce qu’elle fait presque toujours partie du domaine du
« hors-image » [2]. Ce dernier terme me paraît plus pertinent pour qualifier ce qui, chez Rivera, est en marge plutôt que le
terme de « parergon » qu’utilise Jacques Derrida dans son livre La Vérité en peinture [3]. Pour lui,
le parergon est ce qui est hors-œuvre. Or, la banderole de Rivera appartient intégralement à l’œuvre, en même temps que les vingt-six panneaux figurés, mais
non pas à l’image. Dans cette décoration, la marge est donc tout ce qui se trouve en-dehors des panneaux, au-delà des images figurées.
La banderole pourrait être assimilée à des cartouches, comme on en trouve en marge (au-dessus ou au-dessous) de nombreuses peintures murales
- principalement religieuses - et qui portent les titres de celles-ci. Pourtant, nous n’avons pas à faire ici à un ensemble de cartouches puisque ce ne sont pas les titres qui y
sont inscrits, mais les vers que Rivera a extrait des trois corridos : le premier est El Corrido de Emiliano Zapata (1919), le deuxième fut composé par José
Guerrero sur le thème de la révolution agraire mexicaine de 1910 et le dernier, fut écrit par un certain Martínez, intitulé Así será la
Revolución Proletaria et publié dans le journal communiste El Machete. Toutefois, le fait que l’artiste s’inspire de trois sources différentes ne
nuit aucunement à son discours plastique dont la thématique révolutionnaire est en accord avec le texte des chansons révolutionnaires, ni à la
linéarité de l’œuvre entière, renforcée par la linéarité de la banderole. Au contraire, grâce à cette dernière, Rivera invite le
visiteur à passer de panneau en panneau et à considérer toute la décoration avant de pouvoir s’isoler devant chacun d’eux. Ainsi, en étudiant la
dialectique entre l’image et le texte périphérique, nous allons voir comment le peintre enjoint le spectateur à s’engager socialement et politiquement : la
révolution doit se faire grâce à l’art, grâce à la peinture et à la musique.