Résumé
« Je suis le Spectateur-nocturne »
- Claude Jaëcklé-Plunian
Français : Rétif de la Bretonne prend très tôt l’habitude d’illustrer abondamment ses romans, autant parce qu’il éprouve une véritable fascination devant l’image que pour tenter de désarmer la contrefaçon, coûteuse ennemie de l’édition au XVIIIe siècle. Dans Monsieur Nicolas, son autobiographie – hélas dépourvue d’estampes – il écrit : « Je sentis quel devait être le but et la marche des Nuits : je conçus l’idée de les composer de tous les faits réellement arrivés dont mes promenades nocturnes m’avaient rendu témoin pendant le cours de ma vie » (Monsieur Nicolas, éd. P. Testud, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1989, t. II, p. 396). L’œuvre des Nuits ne répond donc pas à la stricte définition de l’autobiographie, mais constitue tout de même un ensemble d’écrits à caractère autobiographique, divisé en Nuits ; le narrateur est également le héros de ces Nuits et se présente sous l’identité du "Spectateur-nocturne", ou encore du "Hibou-spectateur". L’une des particularités de cette volumineuse production réside dans son illustration « personnalisée » : les frontispices de chaque partie montrent le Spectateur-nocturne en situation : il est reconnaissable à son chapeau et à son grand manteau. Cette suite d’estampes permet de construire le personnage du Spectateur-nocturne, mais, et c’est là l’autre particularité de l’œuvre rétivienne, ce personnage qui raconte à la première personne est perçu comme étant Rétif lui-même (quelles que soient les invraisemblances du récit). Ce passage du héros au sujet se fait tout naturellement avec le secours de l’image, Rétif étant le premier à opérer la confusion (ex. 2e gravure de la 14e partie : Le Spectateur présentant sa fille Marion (fille réelle) à Fanny de Beauharnais (femme de lettres ayant également réellement existé). A l’étude du corpus d’estampes des Nuits de Paris, nous ajouterons un aperçu sur une gravure des Contemporaines, et le portrait gravé de l’auteur. L’estampe est l’image de soi nécessairement vue par un autre : nous interrogerons donc la relation de l’auteur avec ses illustrateurs, avant d’analyser la construction du personnage dans l’image « en série » des Nuits. Nous verrons enfin comment l’image opère l’évolution de l’auteur-spectateur, narrateur de ses souvenirs, et puis témoin de l’Histoire dans les derniers volumes des Nuits de Paris.
Mots-clés : autobiographie, estampe, narrateur, scène, spectateur
English: Rétif de la Bretonne very early on got into the habit of illustrating his novels abundantly, as much because he felt a real fascination with images as to try to disarm counterfeiting, a costly enemy of publishing in the 18th century. In Monsieur Nicolas, his autobiography - alas devoid of images - he writes: "I felt what the goal and the march of the Nuits must have been: I conceived the idea of composing them from all the facts that really happened that my night walks had made me witness during the course of my life" (Monsieur Nicolas, éd. P. Testud, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1989, t. II, p. 396). The work of Les Nuits does not therefore meet the strict definition of autobiography, but constitutes a set of writings of an autobiographical nature, divided into Nuits; the narrator is also the hero of these Nuits and presents himself under the identity of the " nocturnal Spectator ", or the "Spectator-Owl". One of the particularities of this voluminous production lies in its "personalised" illustration: the frontispieces of each part show the Nocturnal Spectator in situation: he is recognisable by his hat and his large coat. This series of prints makes it possible to construct the character of the Spectateur-nocturne, but, and this is the other particularity of the rétivienne work, this first-person narrative character is perceived as being Rétif himself (whatever the implausibilities of the story). This passage from the hero to the subject is done quite naturally with the help of the image, Rétif being the first to cause confusion (e.g. the engraving of the 14th part: The Spectator presenting his daughter Marion (an existing daughter) to Fanny de Beauharnais (a woman of letters who also really existed). To the study of the corpus of prints of the Nuits de Paris, we will add a preview on an engraving of Les Contemporaines, and the engraved portrait of the author. The print is the self-image necessarily seen by another: we will therefore question the author’s relationship with his illustrators, before analysing the construction of the character in the "serial" image of the Nuits. We will finally see how the image operates the evolution of the author-spectator, narrator of his memories, and then witness of History in the last volumes of the Nuits de Paris.
Keywords: autobiography, engraving, narrator, scene, spectator